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De mémoire d’homme

durée 20h45
19 octobre 2012
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Par Isabelle Maher

 

Jeune leader étudiant, il a rencontré le premier ministre Duplessis pour contester les frais de scolarité. Ministre du Travail, il a créé la commission Cliche sur les pratiques dans l’industrie de la construction. L’histoire se répète et la mémoire est oublieuse, plaide Jean Cournoyer qui publie aujourd’hui son autobiographie.

Retour sur des années tumultueuses du Québec contemporain. Le 29 octobre 1970, quelques jours après la découverte du cadavre de Pierre Laporte dans le coffre d’une automobile, Jean Cournoyer téléphone à sa femme Michelle pour lui annoncer qu’il est le nouveau ministre du Travail. Celle-ci lui répond: «Je le sais, des soldats armés sont arrivés chez nous et font la ronde autour de la maison. Le garage est plein de munitions...», décrit-elle.

Le jeune avocat de 36 ans et père de trois enfants affirme aujourd’hui qu’il ne mesurait pas à quel point il a été plus qu’un témoin, mais un acteur de l’histoire, à une période marquante. «Quand on le vit aussi intensément, on n’est pas conscient que l’on écrit l’histoire, confie-t-il. 1969 à 1976 furent les pires années qu’ait vécues le Québec moderne», décrit Jean Cournoyer dans son autobiographie dont le titre très approprié est...Dans le feu de l’action.

Passionné d’information, Jean Cournoyer est souvent invité à commenter l’actualité. «Comme tout le monde, j’observe ce qui se passe en ce moment et instinctivement je compare à des situations survenues dans le passé», explique-t-il. Conflit étudiant, crises politiques, conflits de travail, corruption dans l’industrie de la construction...l’histoire se répète, constate l’ex-politicien de 78 ans.

Et la commission Charbonneau?

«Du réchauffé!», lance-t-il en esquissant un sourire. «Il y a eu la commission Salvas sur la moralité dans les dépenses publiques en 1960. Les noms peuvent changer, mais les institutions sont les mêmes!»

«Ce qui est intéressant, c’est l’effet de cette commission, le public qui peut voir ce que l’on fait avec son argent. Mais on va vite oublier, dans un an quand le rapport va sortir, on sera déjà ailleurs», lance-t-il d’un ton calme.

«C’est comme si la mémoire collective n’existait pas. Si on ne se souvient pas, on est condamné à faire les mêmes erreurs», insiste-t-il.

En 1974, Jean Cournoyer avait conseillé à Robert Bourassa de créer la commission Cliche après le saccage du plus grand chantier de construction au Québec à la Baie-James. Les pertes étaient évaluées à 33 millions de dollars. Cette commission devait faire la lumière sur des liens entre certains syndicats du milieu de la construction et le crime organisé.

Comme ministre du Travail, Jean Cournoyer appliquera certaines recommandations du rapport Cliche, mais pas toutes. «J’aurais dû toutes les appliquer! Éliminer notamment le placement syndical. J’ai manqué de courage et de temps le PQ nous a chassés en 76», rappelle-t-il

«Un ministre prend tellement de décisions, j’ai probablement fait des erreurs, mais j’ai aussi fait des bons coups», conclut-il.

 

Le ministre du Travail (1970)

Le 12 mars 1970, Maurice Bellemare démissionna comme ministre du Travail et de la Main-d’œuvre et fut nommé président de la Commission des accidents de travail. Le même jour, à la demande de M. Bertrand, j’assumai les fonctions ­laissées vacantes par M. Bellemare.

On me fit ministre du Travail alors que je commençais à peine à apprendre le rôle de ministre de la Fonction publique.

Je n’ai jamais trouvé la description de tâche d’un ministre du Travail. J’avais une formation en droit, un peu d’imagination et un brin d’audace. Tout ce que je connaissais dans le domaine des relations de travail, je l’avais appris sur le tas en tentant de régler des ­problèmes de relations de travail. Certes, j’avais une propension naturelle à tenter de trouver des ­compromis et je peux dire qu’au cours des années précédentes j’avais un peu réussi ce que j’avais ­entrepris.

Mais personne ne m’avait enseigné ce que faisait un ministre du Travail et je n’avais pas beaucoup de temps pour chercher à trouver ce que je devais faire.

À chaque conflit qui aboutissait sur mon bureau, les éditorialistes des grands quotidiens me disaient ce que le ministre aurait dû faire ou ce qu’il devrait faire. Confortablement assis dans la quiétude de leur bureau, ils théorisaient avec les bribes d’information qu’ils possédaient.

Une journée, ils blâmaient mon ­intervention, une autre journée, ils ­critiquaient ma lenteur à intervenir. Ils avaient le privilège de traiter un problème à la fois, mais ils s’attendaient à ce que je les règle tous en même temps.

Ils pouvaient ainsi se permettre de ­définir les devoirs d’un ministre du ­Travail selon leur perception des ­problèmes de relations de travail qui survenaient au Québec ; curieusement, peu d’entre eux s’attardaient à définir les pouvoirs de ce ministre. Malheureusement, je ne possédais pas la science ­infuse, comme la possédaient les ­éditorialistes de nos grands quotidiens !

Quand je mis les pieds dans le bureau du ministère du Travail de l’édifice Delta à Sainte-Foy, j’y rencontrai le sous-­ministre Robert Sauvé. Avant d’être ­nommé à ce poste, il avait été secrétaire général de la Confédération des syndicats ­nationaux (CSN).

L’apprentissage

Je ne crois pas que les choses ont changé depuis cette époque. On devient ministre sans savoir l’ABC de la gestion d’un ministère. J’ai été nommé ministre parce que j’avais une bonne réputation en matière de relations de travail.

Cependant, je me répète, je n’avais aucune ­notion de ce que doit faire un ministre du Travail. Je savais qu’il parlait, je ne savais pas qu’il était à la ­tête d’un personnel de près de 2 000 personnes réparties entre la Commission des accidents de travail, la Commission du salaire minimum, les centres de main-d’œuvre, le service d’inspection des ­édifices publics de tout le Québec et le service de conciliation.

Quand on n’a jamais enseigné, on ne sait pas vraiment ce que c’est que d’être devant un groupe d’adolescents turbulents. Quand on n’a jamais torché que ses enfants, on ne sait pas ce que c’est que d’être infirmier auxiliaire dans un hôpital de soins prolongés. Quand on n’a toujours géré que soi-même et les affaires de sa jeune famille, on ne sait pas ce que c’est que gérer un ministère au Québec.

Heureusement, M. Bertrand annonça la dissolution de la législature et fixa la date des élections générales au 29 avril suivant.

 

Un retour en politique et de nouveau ministre du Travail (octobre 1970)

Le 28 octobre, alors que je siégeais comme arbitre de griefs à Havre-Saint-Pierre, sur la Côte-Nord, on m’appela au téléphone.

Charles Denis, l’un des adjoints du premier ministre Bourassa, me dit que ce dernier voulait me rencontrer. Il me donna rendez-vous le lendemain midi au Mount Royal Bar-B-Q, un restaurant de l’avenue du Mont-Royal, près de la rue Saint-Denis à Montréal.

Sur l’avion de Quebecair qui me ramenait à Montréal, je lis dans le quotidien anglophone Montreal Star que la rumeur courait selon laquelle Robert Sauvé, alors sous-ministre du Travail, ou moi-même serait nommé pour remplacer Pierre ­Laporte.

Je m’étonnais qu’on ait pensé à moi étant donné qu’à peine six mois auparavant je faisais partie d’un gouvernement que la population avait foutu dehors. Je ne me souvenais pas si, dans l’histoire du Québec, il était déjà arrivé qu’un poste de ministre soit occupé par quelqu’un qui n’était pas un député élu ou un conseiller législatif.

Cependant, mon rendez-vous me disait que quelque chose de tel se tramait à Québec.

J’avais connu Robert Bourassa à l’université. Il fréquentait alors la Soreloise Andrée Simard qui était présidente de l’Association des étudiants de la Faculté de pédagogie familiale et siégeait au conseil d’administration de l’Association générale des étudiants de l’Université de Montréal que je présidais.

Quand j’arrivai à mon rendez-vous, des gardes armés de mitraillettes ­occupaient le devant du restaurant. M. Bourassa était assis seul sur une ­banquette. Sans préambule, il me dit quelque chose comme : «Jean, j’ai besoin de toi. Accepterais-tu le poste de ministre du Travail?»

Depuis la veille, je m’étais préparé à cette éventualité et j’en avais informé Michelle. Elle m’avait dit : «Je te connais, tu ne diras pas non. Mais, si tu veux ­faire de la politique, moi je n’en ferai pas et nos enfants non plus.» C’était clair.

Le lendemain, 29 octobre, je partais pour Québec. Après mon assermentation, j’appelai Michelle pour lui dire que j’étais de nouveau ministre. Elle me ­répondit : «Je le sais, des soldats armés sont arrivés chez nous et font leur ronde autour de la maison. Le garage est plein de munitions et ils gardent la porte ­ouverte.» Ils avaient une chaufferette électrique qui faisait sauter les fusibles lorsqu’ils la branchaient.

Puis, un autre agent de la SQ vint me rencontrer discrètement au bureau pour me remettre une ceinture spéciale pour tenir mon pantalon. Elle était munie d’un système de repérage alimenté par des piles électriques plates qu’un agent allait par la suite venir remplacer ­périodiquement et secrètement. Ça ­devait être l’ancêtre des GPS devenus si communs en 2010.

Le 29 octobre 1970, lorsque je fus ap­pelé à succéder à Pierre Laporte, le ­processus prévu à la loi 38 était rendu à l’étape de la commission parlementaire. C’était toute une expérience pour moi. J’écoutais avec les autres députés les ­doléances hypocrites des dirigeants ­syndicaux et patronaux trop soucieux de leur prestige pour négocier de bonne foi des règlements honorables pour leurs membres respectifs. Triste spectacle de lâches venus confesser leur incapacité devant les représentants élus du peuple et s’apprêtant à les blâmer s’ils ne partageaient pas leurs vues.

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