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Chronique d'opinion

Procès de Guy Turcotte: À expert, expert et demi

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11 novembre 2015
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Frédéric Savard
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Par Frédéric Savard, Éditorialiste

Je ne suis pas psychologue ni psychiatre. Je trouve juste que les spécialistes auxquels la justice a recours ont franchement tendance à se perdre eux-mêmes dans les dédales de leur propre esprit. En fait, ils sont bien plus souvent utilisés pour étayer un point de vue subjectif de la Couronne ou de la défense que pour amener un éclairage scientifique neutre au profit de la Justice avec un grand «J», ce qui relance le débat sur la nécessité de l’expert unique qui servirait la Cour et non pas à une stratégie élaborée par un avocat ou un autre.

Guy Turcotte a admis avoir tué ses deux jeunes enfants en février 2009. Deux meurtres d’une cruauté sans nom. Pour l’opinion publique, il s’agit d’actes crapuleux prémédités qui doivent être à tout le moins punis par une peine de prison à vie. Pour le jury du premier procès de l’ancien cardiologue, il s’agissait plutôt de meurtres pour lesquels Guy Turcotte était non criminellement responsable en raison de troubles mentaux. Cette même défense est encore employée dans son deuxième procès qui tire à sa fin. 

Au-delà de mon opinion qui prêche bien davantage pour la loi du Talion que pour la clémence et la réhabilitation lorsqu’il est prouvé que la personne a bel et bien commis les gestes pour lesquels elle est accusée, il y a les faits et les chiffres qui ne mentent pas. 

Au Québec, les verdicts de non-responsabilité criminelle sont très nombreux, trop nombreux. Selon une étude de la Revue canadienne de psychiatrie publiée il y a quelques mois, près de neuf fois plus de verdicts de non-responsabilité criminelle sont rendus au Québec comparativement à l’Ontario et près de 12 fois plus qu’en Colombie-Britannique. Dans 9% des cas où un tel jugement est prononcé, ce sont des infractions violentes graves qui sont commises. Le crime odieux de Guy Turcotte appartient évidemment à cette catégorie.  

De plus, près de 4 psychiatres sur 10 qui se font demander des expertises pour la Cour affirment s’être fait demander des modifications variant de légères à majeures dans leurs rapports en fonction du rôle de l’avocat qui avait recours à leurs services. 

Dans une entrevue accordée aux Francs Tireurs l’an passé, la présidente de l’Association des médecins psychiatres du Québec, Karine Igartua, affirmait que les maladies mentales avaient le dos large quand vient le temps d’expliquer la raison de la commission d’un crime monstrueux.
 «Je pense qu’il y a une distinction qu’on a besoin de faire entre un acte qui est horrible et la maladie mentale. C’est comme si on fait un raccourci qui n’a pas raison d’être de si quelque chose est vraiment horrible, ça doit être de facto quelqu’un qui est malade mental, or ça ce n’est pas vrai. Et l’autre raccourci que les gens font souvent c’est; si j’ai une maladie mentale, je ne dois pas savoir ce que je fais et ça aussi c’est une équation qui n’a pas lieu d’être.»  

Dans les deux dernières semaines du procès, la psychiatre Dominique Bourget soutenait que Guy Turcotte avait le cerveau malade au moment des événements, ce qui ne lui permettait pas d’avoir pleine conscience de ce qu’il faisait. Le psychiatre Louis Morissette affirmait de son côté que Guy Turcotte souffrait d’un trouble d’adaptation tout en soulignant qu’un trouble de cette nature, s’il s’agit de l’unique trouble d’un patient, n’est pas ce qui cause une perte de contrôle de la réalité. Le docteur Morissette soutient donc que le cerveau de l’accusé fonctionnait. 

Des gens qui souffrent de troubles anxieux, de dépression, de stress intense pendant une période donnée de leur vie, il y en a beaucoup, beaucoup plus qu’on pourrait le penser. Une personne sur cinq sera en effet touchée par une maladie mentale au cours de sa vie. Est-ce que ça devrait pour autant quasi systématiquement devenir un outil pour se disculper d’un crime? Un crime qui peut parfois atteindre des proportions abominables? Absolument pas. 

Est-ce que Guy Turcotte doit être déclaré non criminellement responsable pour une deuxième fois? Non. Est-ce qu’il peut se réhabiliter complétement? Je ne sais pas. Qui sait quelle pourrait être sa réaction à la suite d’une nouvelle rupture. 

Je crois en la réhabilitation à la condition que la réhabilitation se mérite. Un jeune de 16 ans qui vole du chocolat et des sacs de chips à répétition dans un dépanneur prend vraiment un mauvais départ dans la vie, mais il mérite qu’on s’attarde à son cas et qu’on lui apporte de l’aide pour le remettre sur le droit chemin. Mais est-ce qu’un père qui assassine froidement ses deux enfants mérite d’être réhabilité et d’avoir une deuxième chance alors qu’il n’en a donné aucune à ceux qu’il aurait dû vouloir protéger à tout prix? Non. 

Les gens ont perdu confiance en la justice. Le jury se doit de sévir à l’endroit de Guy Turcotte. Un second verdict de «non criminellement responsable»  ne serait pas seulement un autre œil au beurre noir pour la justice québécoise, mais aussi purement non socialement acceptable. 

 

commentairesCommentaires

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  • D
    debapejo
    temps Il y a 8 ans
    Monsieur Savard, connaissez-vous bien notre système de justice. Monsieur tout le monde ne le connaît pas. Moi de même, je ne suis pas avocat, mais je vais dire ce que je connais de notre système de justice.

    Notre système est basé sur la contradiction. Il est normal alors que l’expert de la Couronne tente de donner son opinion basée sur les faits observés qui vont dans le sens des accusations. Là où l’expert de la Couronne peut être décousu, c’est en contre-interrogatoire où les questions posées principalement par l’expert de la Défense sont imprévisibles.

    Il en est de même de l’expert de la Défense. Il est normal qu’il donne son opinion basée sur les faits observés qui vont dans le sens de la défense de l’accusé. Là où l’expert de la Défense peut être décousu, c’est en contre-interrogatoire où les questions posées principalement par l’expert de la Couronne sont imprévisibles.

    C’est au jury de tirer la conclusion des différents témoignages apportés par les deux experts qui ont témoigné en faveur d’une partie ou l’autre et qui ont été contre interrogés.

    Un système d’expert pour la Cour ne nous montrerait pas les deux côtés de la médaille, même si cet expert unique pouvait être contre interrogé par les deux parties. L’expert unique n’assurerait pas une défense pleine et entière.

    Aussi, ne pas oublier que la psychiatrie n’est pas une science exacte, qu’il est question d’opinion. Enfin, il faut tenir compte que, dans notre système criminel, un doute raisonnable permet de neutraliser toute opinion, cela pour éviter le plus possible de condamner un innocent, comme cela peut arriver. Que les lois criminelles ne relèvent pas de chaque province, mais du fédéral.

    Évidemment, les décisions du jury peuvent varier d’une province à l’autre.

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