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La «taxe carbone» n'a pas provoqué d'intervention policière à la banque alimentaire

durée 09h30
24 mars 2024
La Presse Canadienne, 2024
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Temps de lecture   :  

6 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

MONTRÉAL — Le Parti conservateur du Canada (PCC) établit un lien entre une intervention policière dans une banque alimentaire de Montréal et la «taxe sur le carbone». Si les avis divergent sur l’effet que pourrait avoir la politique libérale sur le prix des aliments, l’événement qui s’est produit dans une banque alimentaire de Parc-Extension à la mi-février n’a pas été provoqué par la tarification du carbone.

Lundi, le chef du PCC, Pierre Poilievre, a republié  sur X ce message du député conservateur Dane Lloyd: «L’inflation libérale de la taxe sur le carbone a provoqué une crise alimentaire dans les communautés partout au Canada. La situation est devenue si désastreuse que cette banque alimentaire de Montréal a appelé le 911 pour faire face à une foule de Canadiens affamés».

Pierre Poilievre a également fait allusion à l'intervention policière dans la banque alimentaire, à la Chambre des communes, jeudi. 

Le message du député Dane Lloyd contient un lien vers un article de la CBC qui porte sur l’intervention de la police à l’organisme Cuisine et vie collectives Saint-Roch dans Parc-Extension il y a quelques semaines.

Ce sont les responsables de la banque alimentaire qui ont demandé la présence des policiers, car des bousculades se sont produites lors d'une distribution de nourriture.

Est-ce que des gens qui travaillent au sein de la banque alimentaire ont déjà suggéré que la tarification sur le carbone pouvait avoir un lien avec ces événements? «Non, vraiment pas», a répondu Nancy Dion, coordonnatrice de l'organisme Cuisine et vie collectives Saint-Roch, qui œuvre dans le milieu depuis 30 ans.

L’augmentation récente de la demande à l’organisme Cuisine et vie collectives Saint-Roch s’explique principalement par l’arrivée exponentielle de migrants dans les derniers mois, selon elle.

«On est vraiment en première ligne. Ils descendent de l’avion, ils n’ont pas de bottes d’hiver, pas de manteau, ils ont froid, ils viennent nous voir et ils ont faim», a expliqué la coordonnatrice à La Presse Canadienne.

Le conflit et les bousculades qui ont nécessité une intervention policière seraient survenus entre un groupe de nouveaux arrivants, qui ignoraient qu’ils devaient s’inscrire pour obtenir de la nourriture, et d’autres bénéficiaires qui étaient membres de la banque alimentaire. 

«Il y avait des gens dans la file d'attente qui n'étaient pas des membres inscrits à l'organisme et qui ne savaient pas qu'il fallait s'inscrire et il y a eu un peu de cohue à ce niveau-là», a expliqué Martin Munger, directeur général des Banques alimentaires du Québec.

«Plusieurs n’ont pas de statut, ce sont des demandeurs d’asile, on est leur premier recours», a indiqué Nancy Dion en précisant que ces personnes sont «des gens affamés» qui arrivent directement de l'Inde, du Bangladesh ou encore du Sri Lanka.

Elle a expliqué qu’ils «n’ont aucun revenu et n’ont aucune possibilité d’intégration sociale», car la plupart «ne parlent ni l'anglais ni le français et sont incapables de remplir un formulaire».

À l'échelle de la province, la demande pour des paniers d’aliments augmente et selon Martin Munger, «qui ne souhaite pas embarquer dans la politique partisane», trois principales causes expliquent cette hausse.

«D’une part, il y a les effets de la pandémie qui se font encore sentir, il y a la crise du logement et aussi l’inflation.»

Tarification sur le carbone et prix des aliments

La Presse Canadienne a sollicité une entrevue au PCC pour comprendre pourquoi il établissait un lien entre la tarification sur le carbone et l’événement qui s’était produit dans Parc-Extension.

La porte-parole conservatrice Marion Ringuette a répondu qu’aucun député n’était disponible pour commenter, tout en ajoutant cette explication: «Le Québec importe des aliments du reste du Canada. Les agriculteurs qui cultivent ces aliments paient la taxe carbone, les transformateurs alimentaires paient la taxe carbone, les camionneurs qui acheminent ces aliments au Québec paient la taxe carbone. Cela signifie que la taxe carbone de Justin Trudeau augmente le prix des aliments pour les Québécois, même s'ils ne paient pas directement sa taxe carbone.»

Mais selon l’économiste Charles Séguin, «il est un peu farfelu» de faire un lien avec l’événement survenu à la banque alimentaire de Parc-Extension, pour différentes raisons, notamment parce que la tarification carbone ne s’applique pas au Québec.

«Évidemment, il y a des aliments qui peuvent être produits à l'extérieur du Québec et être vendus au Québec. Mais l'impact de la tarification sur le carbone sur le prix des aliments est très faible. Notamment parce que le secteur agricole est largement exclu de la tarification», a expliqué le professeur à l'École des sciences de la gestion de l'UQAM.

«L’impact peut toutefois se faire sentir à travers les coûts du transport», mais «on a vu que les prix de l'essence en moyenne au Canada ont diminué de 4 % en janvier par rapport à janvier de l'année précédente. Donc, dans la dynamique actuelle, on ne peut pas dire que ça affecte vraiment les prix de la nourriture», a mentionné l’économiste.

La tarification sur le carbone s’applique directement au coût des carburants, mais elle peut également être intégrée au coût des biens, tels que les aliments, dans la mesure où les producteurs et les détaillants de carburant répercutent les coûts tout au long de la chaîne d’approvisionnement.

Tarification sur le carbone et inflation

Le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, a estimé que la tarification du carbone n’était responsable que d’un vingtième environ de l’inflation en 2023, alors que le taux d’inflation oscillait autour de 3 %.

Deux chercheurs de l'École de politiques publiques de l'Université de Calgary se sont récemment penchés sur les effets de la taxe sur le carbone sur le coût des aliments en Colombie-Britannique.

La tarification carbone du fédéral ne s'applique pas dans cette province, car elle impose sa propre taxe carbone depuis 2008.

Les estimations du professeur d’économie Trevor Tombe et de son associée Jennifer Winter suggèrent que cette taxe a fait augmenter le coût moyen des aliments d'environ 0,3 pour cent par rapport à ce qu'il en serait en l'absence d'une taxe sur le carbone.

«Ce qui est quand même assez modeste», a commenté Charles Séguin.

Toutefois, le directeur scientifique du Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université Dalhousie, Sylvain Charlebois, estime «qu'il est extrêmement difficile, voire même impossible, d'établir une corrélation entre la politique du prix du carbone, ou du marché du carbone au Québec, et le prix des produits alimentaires au détail».

Il y a tellement de facteurs qui influencent les prix au détail, a-t-il expliqué à La Presse Canadienne, en citant la météo, les goûts des consommateurs, les tendances, etc.

Il croit toutefois que l'augmentation de la tarification «pourrait compromettre la compétitivité de l'industrie de la filière agroalimentaire à long terme», car «ça pourrait augmenter les coûts de production».

Il a précisé que «ça ne veut pas nécessairement dire que les coûts vont être influencés au détail à court terme, mais à long terme, c’est sûr que ça peut affecter la compétitivité de la filière».

Une taxe qui a une incidence sur «les riches»

L’économiste Charles Séguin note que dans les provinces où la tarification carbone du fédéral est en vigueur, la plupart des familles reçoivent davantage en remboursement qu’elles ne paient en taxes sur le carbone.

«La majorité des tranches de revenus reçoivent un remboursement qui est supérieur aux coûts occasionnés par la tarification carbone.»

La tarification du carbone repose sur le principe que les gens changeront leurs habitudes de consommation si le prix qu’ils paient pour les carburants émetteurs de gaz à effet de serre augmente.

Ainsi, le consommateur qui achète moins de carburant paiera moins de prix sur le carbone, tout en bénéficiant des mêmes remises de la part d’Ottawa.

Toutefois, ceux «qui émettent le plus de GES» parce qu'ils «ont des véhicules énergivores et qui chauffent au mazout» peuvent recevoir moins en remise du fédéral que ce qu'ils paient en taxe, a expliqué le professeur Séguin.

«Mais ce ne sont pas eux qui ont recours aux banques alimentaires», a-t-il précisé.

«L'enjeu des prochaines élections»

Le chef conservateur Pierre Poilievre a tenté sans succès cette semaine de faire tomber le gouvernement libéral par une motion de censure concernant la «taxe carbone» et il souhaite en faire l'enjeu des prochaines élections.

De son côté, le ministre de l'Environnement, Steven Guilbault, estime que la tarification sur le carbone va permettre de réduire de jusqu’à un tiers les émissions de GES au pays d’ici 2030.

«Alors s’il y a quelqu’un quelque part qui peut me trouver une mesure à coût nul et qui est capable de nous donner un tiers de nos réductions d’émissions, que cette personne vienne me voir, parce que moi, ça fait 30 ans que je travaille là-dessus et je n’en connais pas», a indiqué Steven Guilbeault dans une entrevue récemment.

La tarification du carbone devrait augmenter le mois prochain de 15 $ la tonne d’émission de gaz carbonique dans l’atmosphère, pour atteindre 80 $.

Stéphane Blais, La Presse Canadienne