«On répond à la bonne question mais de façon très malhabile»

Par Claude-André Mayrand
La Charte des valeurs québécoises est loin d’avoir fini de soulever les débats au Québec. La Lavalloise Samira Laouni a profité de la commission parlementaire sur le Projet de loi 60 pour déposer un mémoire sur la question et faire connaître les arguments de Communication pour l’ouverture et le rapprochement interculturel (COR), l’organisme qu’elle préside.
«Nous sommes pour l’achèvement de la laïcisation du Québec, amorcée depuis belle lurette.
Nous sommes pour la mise en place de balises complètes pour les accommodements religieux et nous voulons qu’il y ait des formations pour les gestionnaires pour qu’il n’existe plus de demandes farfelues sur le terrain», lance d’entrée de jeu Samira Laouni que L’Écho de Laval a rencontrée quelques jours après son passage à la commission parlementaire, le 14 janvier dernier.
Le COR s’oppose cependant à la clause qui interdirait les employés de l’État de porter des signes religieux ostentatoires.
C’est la raison pour laquelle la présidente s’est retrouvée devant le ministre Bernard Drainville et les autres élus de la commission, à l’Assemblée nationale.
«Je suis d’accord que le fonctionnaire de l’État doit être neutre dans sa prestation de services, mais pas dans son physique, précise la résidente de Vimont.
Qui dit laïcité de l’État ne dit pas laïcité des individus.»
Le site de microbloguage Twitter s’est enflammé suite au passage de Samira Laouni à l’Assemblée nationale.
Lors de son audience, elle a dit craindre que le Québec finisse avec un code vestimentaire digne du nazisme comparable à celui imposé aux Chinois par Mao Tsé-toung.
Débat dénué de respect
Samira Laouni se désole d’assister à un débat où le respect n’est pas au rendez-vous, à son avis.
Originaire du Maroc, elle a vécu en France pendant 15 ans avant d’arriver au Québec en 1998.
Elle souhaite que l’on encourage davantage l’ouverture d’esprit.
«Ça prend des formations de sensibilisation populaire, publiques, via les médias et le web et via l’amélioration du cours d’éthique et culture religieuse, pour que les jeunes qui grandissent le fassent avec la multiplicité des couleurs, des genres, des orientations sexuelles et des religions, explique-t-elle.
Ça ne prend pas seulement de la tolérance, ça prend aussi du respect. Et il n’y en a pas dans le débat actuel.»
La présidente du COR regrette aussi que l’exercice de la commission Bouchard-Taylor ait été tabletté plutôt que pris en considération.
Selon elle, le débat de la Charte est un signe de surplace.
«Bouchard-Taylor était une étude sociologique réalisée sur le terrain, avec des chiffres, des faits, des spécialistes. C’était du travail soigné et académique, basé sur du concret. Avec la Charte, on légifère sur des perceptions», énonce-t-elle.
Le COR demande au gouvernement de faire deux études, la première qui identifierait le nombre de cas problématiques, leurs causes, leurs contenus et leurs acteurs, et l’autre sur les répercussions et sur qui les subiraient.
«À notre avis, c’est sur les femmes que ça va retomber. Il y a déjà des inégalités, notamment au niveau salarial, affirme Mme Laouni en citant des chiffres de Statistique Canada, qui stipuleraient que les femmes gagnent 4 $ de moins que les hommes à postes et compétences égaux.
«Si, en plus, on impose cette loi, elles seront encore davantage discriminées. Ce serait de la discrimination intersectionnelle. Sommes-nous dans une démocratie ou dans une dictature?», illustre-t-elle avec une image forte.
Contre la Charte mais pour la charria?
Une courte recherche sur Internet permet de constater que l’organisme Communication pour l’ouverture et le rapprochement interculturel est un organisme controversé, que l’on présente comme étant voué à la charria.
Samira Laouni a tenu à apporter une précision.
«J’ai toujours dit que j’étais contre une charria qui prévaut sur les lois canadiennes et québécoises, explique celle qui a été candidate pour le Nouveau parti démocratique lors des élections fédérales de 2008 dans le comté de Bourassa.
Je refuse la charria telle qu’elle est aujourd’hui.»
Une mascarade
Selon le COR, la commission parlementaire, qui a tenu ses trois premiers jours d’audience du 14 au 16 janvier, est une mascarade.
«Le ministre Drainville dit écouter tous les citoyens, mais avant même de le faire, il annonce qu’il ne diluera pas la charte, déplore Samira Laouni. Et la première ministre Marois qui ajoute que pour les signes religieux, ils ne bougeront pas. L’exercice est faussé.»
La Lavalloise a l’impression que la commission ne servira pas à grand-chose car les pistes de solutions proposées et les recommandations faites par les citoyens et les organismes entendus ne seront pas pris en considération.
«Le ministre affirme que c’est 1 % des femmes musulmanes qui vont être touchées par les mesures de la Charte. Justement, c’est à ce 1 % qu’il faut le plus penser et tout mettre en place pour les accommoder et les intégrer», stipule Mme Laouni.
Elle craint maintenant une stigmatisation
«Depuis le 11 septembre 2001, je remarque la détérioration. Elle continue depuis, de façon circonscrite.
On assiste à la libéralisation d’une parole raciste et xénophobe qui est devenue publique. Ça aussi ça été circonscrit dans la masse populaire.»
Et depuis août, avec la proposition de Charte des valeurs québécoises, ça prend des proportions hors normes, selon la présidente du COR.
«Le Québec n’est ni raciste, ni xénophobe, mais la libéralisation de cette tranche xénophobe et raciste est permise car certains citoyens se disent ‘’Si le gouvernement stigmatise ces gens-là, pourquoi pas moi?’’»
Malhabile gouvernement
La Lavalloise s’inquiète aussi des droits et libertés bafouées.
«La liberté de conscience est une chose primordiale que l’humanité a mis en place et qu’il faudrait préserver. Je suis libre de croire, d’avoir une foi et une spiritualité et mon voisin peut ne rien croire à rien du tout et c’est bien correct, justifie-t-elle. Ce qui nous uni tous, c’est notre humanité et avec la charte, on bafoue beaucoup de droits.»
Elle ne prête toutefois pas de mauvaises intentions au gouvernement du Québec.
«Il veut mettre en place la souveraineté mais s’y prend très mal. On répond à la bonne question de façon malhabile.»
La présidente du COR n’est pas fonctionnaire, mais elle affirme qu’elle n’hésiterait pas à changer d’emploi si elle l’était et si on lui imposait de retirer son hidjab.
Le COR a proposé un compromis lors du passage de Mme Laouni devant la commission.
«Nous sommes prêts à accepter que le port de signe religieux soit interdit pour les fonctions de coercition seulement, tels que les juges, les procureurs, les policiers et les agents de prison. Les autres employés de l’État n’ont pas d’autorité et il n’y a aucune raison qu’ils ne puissent pas porter leurs signes religieux», conclut-elle.
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