Anne Robillard dépose une demande d'action collective contre OpenAI et Microsoft


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Par La Presse Canadienne, 2025
MONTRÉAL — L’auteure Anne Robillard lance ses Chevaliers d’Émeraude contre un deuxième géant du numérique.
Après avoir déposé en mars dernier une demande d’action collective contre Meta Platforms (propriétaire entre autres de Facebook, Instagram, Messenger et WhatsApp) pour l’usage illégal de millions d’œuvres littéraires protégées par des droits d’auteur, voilà qu’elle en dépose une deuxième visant cette fois OpenAI et son principal actionnaire, Microsoft.
Dans les deux cas, elle reproche à ces géants d’avoir développé de grands modèles de langage «à partir d'ensembles de données contenant des copies illicites d'œuvres du monde entier».
Anne Robillard n’est pas un poids plume dans le domaine littéraire; elle est l’auteure de plus de 100 ouvrages et les 13 tomes de la série culte Les Chevaliers d’Émeraude se sont vendus à plus de 5 millions d’exemplaires au Québec et en France, en plus d’avoir été traduits dans plusieurs langues.
«Acte de piratage»
Dans la nouvelle requête déposée la semaine dernière, elle reproche à OpenAI et Microsoft d’avoir commis «l'un des plus grands actes de piratage de l'histoire, exploitant à des fins commerciales des millions d'œuvres dans le but de développer des outils d'intelligence artificielle générative («IA générative») susceptibles de remplacer les créateurs dont elles ont usurpé le travail».
Le groupe qu’elle entend représenter est constitué de «toute personne titulaire du droit d’auteur sur une œuvre littéraire ou dramatique que les défenderesses ont reproduite sans autorisation» en développant leurs grands modèles de langage qui «n'existeraient pas sans le vaste corpus d'œuvres protégées par le droit d'auteur qui ont servi à les former».
«Les œuvres écrites par des auteurs constituent une source de données particulièrement précieuse et convoitée» pour le développement de grands modèles de langage, fait-on valoir. «Les œuvres littéraires et dramatiques permettent (aux grands modèles de langage) de mimer la complexité de l'expérience humaine en reproduisant la manière dont des personnes, réelles ou fictives, raisonnent ou communiquent entre elles.»
Bibliothèques clandestines
La demande se base notamment sur le témoignage d’un ancien employé d’OpenAI devant un tribunal californien qui a admis avoir téléchargé des œuvres à partir d’une bibliothèque clandestine, Library Genesis ou LibGen, pour développer les grands modèles de langage d’OpenAI. Or, peut-on lire dans la demande, «des recherches aléatoires du contenu de LibGen confirment que la bibliothèque contient de nombreuses œuvres d'auteurs québécois», œuvres partagées sans le consentement des titulaires des droits.
On y fait également état d’une enquête de CBC/Radio-Canada qui a révélé qu'au moins 2500 livres écrits par plus de 1200 auteurs canadiens, dont de nombreux Québécois, se trouveraient dans une des bases de données utilisées par Microsoft – Bibliotik, une autre bibliothèque clandestine – pour le développement de MT-NLG, un autre grand modèle de langage.
La demande rappelle que le droit d’auteur stimule la création et la diffusion d’œuvres artistiques et intellectuelles tout en garantissant aux créateurs une rémunération, mais que ceux-ci n’ont jamais permis à OpenAI et Microsoft d’utiliser leurs œuvres à des fins commerciales.
Ils auraient pourtant pu le faire, souligne-t-on: «Les défenderesses auraient pu négocier des accords de licences avec les membres du groupe. Elles ont plutôt délibérément choisi d'obtenir des copies piratées depuis des bibliothèques clandestines ou autres sources illégitimes.»
«Concurrence parasitaire et déloyale»
En choisissant par ailleurs de créer des outils capables de générer du contenu à partir d’œuvres piratées, ces géants développent «des outils IA qui peuvent générer du contenu qui fait concurrence au travail des auteurs et met en péril leur capacité à gagner leur vie», ce qui se traduit par «une concurrence parasitaire et déloyale». Cette réalité est d’ailleurs déjà bien présente alors que «les plateformes de vente de livres en ligne telles qu'Amazon pullulent maintenant d'œuvres générées par des outils d'IA générative».
«Le succès des opérations des défenderesses en matière d'IA générative repose en grande partie sur le pillage délibéré de la propriété intellectuelle des membres du groupe», avance-t-on alors qu’à l’opposé, les créateurs investissent non seulement «énormément de temps, d'énergie et de ressources dans leur travail; en tant qu'artistes, ils investissent tout leur être dans leur expression créative».
L’action collective vise à obtenir des dommages matériels pour la perte de revenus et de marché, mais aussi pour le «préjudice moral en raison de la douleur, de la tristesse et de l'anxiété de voir les fruits de leurs efforts et de leur expression créative usurpés et instrumentalisés par des entreprises multimilliardaires qui développent des produits susceptibles de les concurrencer, et ce, sans leur accorder le moindre crédit».
L’action collective réclame pour chaque membre du groupe 40 000 $ en dommages-intérêts pour chaque œuvre utilisée dans l’apprentissage de leurs grands modèles de langage, ainsi que des sommes à déterminer à titre de dommages punitifs.
Cette demande d’action collective, tout comme celle déposée contre Meta, est pilotée par le cabinet Audren Rolland.
Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne