Association possible entre acouphènes et sommeil de mauvaise qualité


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Par La Presse Canadienne, 2025
MONTRÉAL — Les gens qui vivent avec des acouphènes n'auraient rien à perdre à s'assurer que leur sommeil est de la meilleure qualité possible, indiquent les plus récentes connaissances scientifiques à ce sujet.
Le sommeil joue un rôle de premier plan dans la santé et le bien-être, rappellent ainsi les auteurs d'un texte récemment publié par la revue Brain Communications, et des «perturbations du sommeil sont présentes lors de la plupart des problèmes psychiatriques».
Il est dès lors «étonnant», ajoutent les chercheurs de l'Université d'Oxford, «que le chevauchement fonctionnel entre les réseaux générant la perception fantôme et les zones sensibles à la dynamique veille-sommeil offre un mécanisme d'interférence qui (n'a) jamais été pris en considération».
«À la suite d'un facteur déclenchant les acouphènes (tel qu'une surexposition au bruit), la plasticité neuronale favorise le développement des acouphènes vers une représentation réseau à l'échelle du cerveau (...), expliquent-ils. La formation d'acouphènes persistants peut être fondamentalement induite par des mécanismes dépendants du sommeil.»
La présence d'acouphènes pourrait notamment découler d'une période inadéquate de sommeil profond, l'étape la plus réparatrice du sommeil, selon les auteurs du texte. Le cerveau serait en mesure de supprimer naturellement les acouphènes, mais seulement si le sommeil profond est suffisamment intense.
On risque donc de se retrouver emprisonné dans une sorte de «cercle vicieux», a analysé la professeure Anna Chambers, une spécialiste de l'association entre le sommeil et les acouphènes à la faculté de médecine de l'Université Harvard.
«Le sommeil est censé réduire l'activité cérébrale, a-t-elle dit. Pendant la journée, l'activité électrique du cerveau augmente progressivement, puis pendant le sommeil, elle est censée s'équilibrer et diminuer. Si vous souffrez d'un manque de sommeil chronique, votre cerveau devient hyperactif, ce qui rend le sommeil plus difficile.»
Cela étant dit, a-t-elle ajouté, il est pour le moment impossible d'évoquer un lien de causalité entre un sommeil de mauvaise qualité et les acouphènes.
On peut tout au plus constater, a-t-elle poursuivi, que les gens affligés par des acouphènes rapportent fréquemment des problèmes de sommeil, sans même pouvoir déterminer dans quelle direction cette association se fait: les acouphènes sont-ils responsables du mauvais sommeil, ou le mauvais sommeil est-il responsable des acouphènes?
«C'est un concept qui circule depuis longtemps, a-t-elle dit. La plainte la plus fréquente des gens qui souffrent d'acouphènes est d'être incapables de dormir. Mais il n'y a pas encore eu beaucoup de travail sur un possible lien de causalité entre les deux. On considère habituellement que les troubles du sommeil sont des problèmes distincts, entre autres parce qu'il y a tellement de choses qui peuvent interférer avec le sommeil qu'il est pratiquement impossible de déterminer ce qui est attribuable aux acouphènes.»
Les acouphènes sont ces sons persistants ― des sifflements, des bourdonnements, des grondements, voire de la musique ― que la personne qui en souffre est la seule à entendre.
Si le problème peut paraître banal, il pourra dans les faits tellement affecter la qualité de vie des patients ― par exemple, en en empêchant certains de dormir ― qu’une anxiété et une dépression pourront en résulter.
On estime que les acouphènes touchent entre 10 % et 15 % de la population, ce qui représente des millions de personnes.
Système auditif
«Le système auditif est très important pour vous réveiller et vous maintenir réveillé et vous alerter de dangers possibles, a expliqué la professeure Chambers. Donc les acouphènes pourraient vous maintenir réveillé avec des mécanismes similaires.»
Des recherches précédentes ont démontré, poursuit-elle, qu'une exposition à un bruit excessif entraîne une «hyperactivité» du cerveau, «donc vous êtes plus réveillé et activé que vous ne devriez l'être».
Conséquemment, a dit la professeure Chambers, il est «important» d'intervenir le plus rapidement possible auprès d'un patient qui aurait été exposé à un bruit excessif pour tenter d'éviter que la situation ne se détériore.
«Il faut surveiller leur sommeil, parce que plus on passe de temps sans sommeil de qualité, pire ça peut devenir», a-t-elle souligné.
À la base, a dit la professeure Chambers, le cerveau des gens affectés par des acouphènes est «suractivé par le son». Il leur sera alors encore plus difficile que pour quelqu'un d'autre de dormir dans un environnement qui n'est pas tranquille, comme à proximité d'une rue achalandée.
Donc, face à l'état actuel des connaissances scientifiques, obtenir un sommeil de la meilleure qualité possible ne pourrait qu'aider les gens qui vivent avec des acouphènes, a-t-elle rappelé.
«Les preuves scientifiques indiquent que vous êtes plus vulnérables à des problèmes de sommeil si vous avez des acouphènes, a dit la professeure Chambers. Il faut vraiment prendre ça au sérieux. Un sommeil de qualité est essentiel pour votre santé, et ça pourrait aider vos acouphènes.»
Aussi le stress
La chose qui est probablement la moins controversée au sujet des acouphènes, avait indiqué lors d'une entrevue précédente le professeur Stéphane Maison, un autre spécialiste du phénomène à Harvard, est leur association au stress.
«Donc tout ce qu’on peut faire pour diminuer le stress peut avoir un impact positif pour les acouphènes», avait-il souligné.
Le stress pourra même être généré par l’apparition soudaine de ces bruits dans l’oreille, avait rappelé M. Maison. Ne sachant pas ce qui lui arrive, le patient pourra penser qu’il a un cancer, ou qu’il est en train de devenir fou, ce qui augmentera son niveau de stress et pourra aggraver le problème. Le fait de mieux comprendre ce qui se passe pourra donc apporter un certain soulagement.
On ne dispose pour le moment que de très peu d’options thérapeutiques pour aider les patients souffrant d’acouphènes, et les résultats sont souvent mitigés: si certains patients affirment que cela les aide, d’autres disent plutôt que le problème demeure très et trop présent.
Des appareils auditifs pourront être utiles, même s’il importe d’être «honnête avec le patient en lui disant que ça ne sera pas parfait, qu’il n’entendra pas comme quand il avait 15 ans», avait dit M. Maison. D’autres appareils auditifs produisent en continu un «bruit blanc» qui pourra masquer les symptômes des acouphènes.
La troisième option est le recours à la thérapie cognitive comportementale, pour apprendre à mieux accepter et à avoir une réaction moins émotionnelle aux acouphènes, avait ajouté M. Maison.
On retrouve également sur le marché certains appareils qui essaient d’agir au niveau du système nerveux central pour, essentiellement, «reconditionner» le cerveau et diminuer «parfois de manière significative» la perception des acouphènes, avait dit M. Maison.
On sait enfin que les neurones dont le rôle est de contrôler l'activité des autres neurones ne sont pas assez actifs chez les patients qui vivent avec des acouphènes et qui ont des problèmes de sommeil, a souligné la professeure Chambers.
«Pour une raison quelconque, après une exposition au bruit, quand il y a des acouphènes, ces neurones inhibiteurs ne fonctionnent plus adéquatement, a-t-elle conclu. On pourrait donc envisager un jour, avec des médicaments ou avec un stimulus électrique par exemple, de cibler ces neurones pour qu'ils soient davantage capables de contrôler l'activité du cerveau.»
Jean-Benoit Legault, La Presse Canadienne