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Bob Rae conclut son parcours diplomatique sans regretter d'avoir fait «des vagues»

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1 novembre 2025
La Presse Canadienne, 2025
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Par La Presse Canadienne, 2025

OTTAWA — L'ambassadeur sortant du Canada aux Nations unies, Bob Rae, est «comme Édith Piaf» et «ne regrette rien» de son franc-parler ni de ses commentaires publics qui allaient, par moments, plus loin que ce que le gouvernement fédéral était prêt à lui-même déclarer.

Celui qui cédera bientôt sa place à l'ex-ministre David Lametti s'esclaffe après avoir glissé, en entrevue avec La Presse Canadienne, cette référence à l'un des succès de l'icône de la chanson française qui était surnommée «la môme».

Son surnom à lui, au sein d'Affaires mondiales Canada, c'est «Hurricane Bob» ou, en français, «Bob l'ouragan», confie-t-il en défendant, au cours de l’entretien virtuel, sa façon directe de s’exprimer et sa tendance à «faire des vagues». Le ministère a plutôt l'habitude de les éviter en optant pour la «prudence», ce qui a valu à M. Rae des rappels à l’ordre venant tantôt de sous-ministres, tantôt du bureau du premier ministre.

«Naturellement, si on pousse un peu les barrières, si on pousse les choses, c'est normal qu’il y aura des gens qui diront ''eh bien, ce n’était pas une bonne idée d'aller si loin''», convient-il. Or, il estime que, bien souvent, ses propos s’alignaient avec la direction que le gouvernement comptait prendre de toute façon.

«Éventuellement, les gens se sont dit ''oui, d'accord, il faut y aller, mais plus lentement ou plus légèrement, peut-être, avec une façon un peu plus polie’’. Mais je suis comme Édith Piaf, je ne regrette rien!», lance l’ex-premier ministre de l’Ontario, ajoutant que son style a aussi marqué son parcours politique.

M. Rae assure que sa relation avec le bureau du premier ministre est loin d’être tendue, tout en confirmant que, parfois, on lui a demandé de retirer certains commentaires publics.

Celui qui a été nommé ambassadeur aux Nations unies par l’ex-premier ministre Justin Trudeau considère que ce dernier savait exactement dans quoi il s’embarquait avec lui et il était à l’aise avec les implications. «Et on m’a donné une incroyable marge de manœuvre pour faire ce que je voulais faire.»

L’ambassadeur n’a pas donné d’exemples d’occasions où ses commentaires ont fait face à une résistance, mais certaines de ses publications sur «X» ou «Twitter» ont retenu l’attention. En 2023, il a notamment qualifié le retrait des Arméniens de la région du Haut-Karabakh disputée avec l’Azerbaïdjan d’«échec total de la diplomatie mondiale face à un nettoyage ethnique». Ottawa n’a pas été aussi loin.

M. Rae a aussi utilisé les réseaux sociaux pour comparer l’insistance du président américain Donald Trump à ce que le Canada contribue financièrement à son projet de «Dôme d’or» à une forme d’extorsion en échange d’une garantie de protection.

Plus récemment, il a supprimé une publication «X» dans laquelle il dénonçait que Washington ait sanctionné Kimberly Prost, une juge canadienne de la Cour pénale internationale qui a autorisé une enquête sur le personnel américain en Afghanistan.

Peu importe les cas précis, l’ambassadeur croit que le fait qu’il évite de fuir à tout prix les discussions conflictuelles l'a bien servi.

«Parfois il faut endurer un peu de conflit parce que c’est la seule façon pour que les choses avancent et pour que les gens puissent exprimer leurs opinions clairement», résume-t-il.

Ce style direct est aussi une façon, estime-t-il, d’interpeller les populations occidentales, qui, comme les gouvernements qui les représentent, sont à ses yeux souvent trop préoccupées par leur propre sort, à l’échelle nationale, aux dépens des crises internationales.

«Je crois que c'est important pour la diplomatie de parler un langage qui est direct, qui répond à la situation et que les gens ordinaires, les gens dans la rue, peuvent comprendre, qu'ils peuvent voir pourquoi on dit ça si directement.»

Son «job» ainsi que celui qui attend M. Lametti est aussi d’insister sur des crises qui perdurent, ne défraient pas toujours la manchette et «se détérioreront parce qu’il n'y a pas l'attention nécessaire» qui y est consacrée. C’est notamment le cas, selon lui, de l’escalade d’insécurité et de besoins humanitaires en Haïti, de même qu’au Soudan et au Myanmar.

L’ambassadeur a précédemment été représentant spécial de M. Trudeau au Myanmar, où des centaines de milliers de Rohingyas ont subi des déplacements forcés.

Mais en plus d’une multiplication des crises et des guerres – comme celle en Ukraine et celle au Proche-Orient – l’actuel gouvernement de Mark Carney «est aux prises avec le défi» que pose la «crise économique créée par le changement de direction dramatique qu’a pris l’administration Trump» en déclenchant une guerre tarifaire.

Face à ce chamboulement, l’engagement du Canada en matière de défense des droits de la personne demeure à l’agenda, assure M. Rae, mais il soutient qu’il faudra attendre le budget qui sera déposé mardi prochain pour avoir plus de clarté sur les priorités en politique étrangère.

Chose certaine, il serait «plus que surpris» que le gouvernement canadien renonce à sa campagne pour obtenir un siège au Conseil des droits de l'homme des Nations unies. Le Canada avait annoncé cette candidature en 2023, trois ans après avoir échoué à obtenir un siège au Conseil de sécurité.

Quant aux critiques que formulent certains pays membres des Nations unies, comme les États-Unis, à propos de l'organisation elle-même, M. Rae conclut que des réformes sont nécessaires, mais que la tendance au désengagement envers les institutions multilatérales doit être renversée. «Le désengagement, c'est l'expression d'une espèce de désespoir. Et pour moi, ce n'est jamais permis de même prendre cette voie.»

Émilie Bergeron, La Presse Canadienne