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Chemsex: des experts craignent l'atteinte d'un point de non-retour si rien n’est fait

durée 11h58
16 novembre 2025
La Presse Canadienne, 2025
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Par La Presse Canadienne, 2025

MONTRÉAL — Des intervenants des milieux communautaires, de la santé et de la recherche, regroupés au sein du comité «Cri de ralliement» demandent que le «chemsex», autrement dit l’usage de drogues de synthèse en contexte sexuel — particulièrement le crystal meth, le GHB-GBL et la kétamine — soit reconnue par les autorités comme un enjeu de santé publique avant «l’atteinte d’un point de non-retour».

Ce phénomène a pris de l'ampleur au cours des dernières années.

Le peu de données concernant le chemsex — majoritairement répandue chez les hommes de la diversité sexuelle et les personnes trans et non-binaires — montre qu'il prend souvent racine à l'intersection de plusieurs enjeux touchant la santé sexuelle et mentale. Cette pratique vient également vulnérabiliser davantage des communautés marginalisées.

Selon les milieux communautaires et de la recherche, les services de soutien aux personnes pratiquant le chemsex peinent à répondre adéquatement aux besoins, et la nécessité d'éduquer autour de cette pratique est criante.

«Les ressources actuelles ne sont pas suffisantes pour répondre à la question du chemsex, affirme le doctorant en travail social à l'UQAM et auxiliaire de recherche pour la chaire Trajectoires, diversité et substances (TRADIS), Yannick Gaudette. C'est beaucoup la communauté gaie qui met présentement en place des initiatives, mais ça demeure insuffisant pour bien accueillir tout le monde dans la perspective de modifier leurs habitudes.»

Membre du comité exécutif du Cri de ralliement, M. Gaudette souligne que le chemsex peut avoir des répercussions sur le plan social. Un adepte de cette pratique peut avoir des difficultés à maintenir son emploi, ses relations familiales et amicales.

«Ce serait pertinent que ce soit considéré comme un enjeu de santé publique, dit-il. Ça permettrait de financer notamment des initiatives spécifiques sur la question du chemsex et que les organismes communautaires et le réseau de la santé puissent vraiment se pencher davantage sur cette question-là pour être en mesure d'accueillir les personnes.»

Un point de non-retour

La crainte du Cri de ralliement d'atteindre «un point de non-retour» est motivée par l'augmentation de la consommation en Europe et l'apparition de nouvelles substances, comme l'explique Yannick Gaudette.

«Ça vient davantage normaliser la consommation au sein de nos communautés et, éventuellement, ça devient de plus en plus difficile de répondre au besoin grandissant», indique-t-il.

Il souligne également la facilité avec laquelle il est possible de trouver désormais des drogues de synthèse sur les applications de rencontres. «Les services qui existent sont tenus par une poignée de personnes. Ça devient de plus en plus difficile de répondre aux besoins et à la demande, notamment depuis la pandémie, où l'on a vu qu'il y avait eu une légère augmentation tout de même de la pratique du chemsex.»

Plusieurs initiatives ont été mises en place, mais elles se concentrent principalement à Montréal. Le Centre de réadaptation en dépendance de Montréal (CRDM) organise, par exemple, des ateliers qui offrent chaque semaine un groupe de soutien.

Danger pour la santé mentale

Les personnes pratiquant le chemsex se retrouvent plus à risque d'épisode psychotique, d'anxiété, de dépression, de surdose et de tentative de suicide. C'est ce qu'a vécu Luc, qui a accepté de se confier à La Presse Canadienne, sous un autre nom, au sujet de son expérience avec le chemsex.

Luc est arrivé en juillet 2024 à Montréal en tant que demandeur d'asile. Cet homme gai de 37 ans n'avait jamais utilisé de drogue de synthèse dans un contexte sexuel avant d'arriver au Québec.

Il a commencé à consommer à chaque rencontre sexuelle, jusqu'à fumer du crystal meth quotidiennement pendant plusieurs mois avant de faire un épisode psychotique et de tenter de s'enlever la vie.

«Les gens qui prennent du crystal meth, ça leur ouvre l’esprit, ça enlève les contraintes, raconte Luc. J'ai été violé (par le passé) et le chemsex m'aidait (...) pour moi, c’était la réconciliation avec le sexe.»

Il explique que sa consommation de crystal meth lui permettait d'avoir des rapports sexuels pendant plusieurs heures, augmentant ainsi sa performance sexuelle tout en améliorant la perception qu'il en avait.

«Après ça, je rencontrais que des gens qui fumaient (du crystal meth), puis à avoir des plans à trois et à quatre, alors que c’était des choses avec lesquels je n'étais pas à l'aise», ajoute Luc.

L'épisode psychotique qu'il a vécu l'a amené à penser que son partenaire tentait de l'empoisonner, ce qui a provoqué leur séparation.

Il avoue ressentir encore aujourd'hui de la gêne quand il est question d'évoquer son expérience de chemsex.

«On se sent jugé et incompris», ajoute Luc. Il appréhende désormais d'avoir des rapports sexuels, car il devra se priver de sustance chimique avant d'en avoir. Il raconte être dans une phase d'abstinence afin de rapprivoiser sa sexualité.

Un travail à faire

Pour le Dr Réjean Thomas — dont la clinique l'Actuel qu'il a cofondée a participé à la fondation du Cri de ralliement —, il y a «un travail à faire de santé publique qui ne se fait pas», ce qui, selon lui, «démontre l'orientation politique» concernant les enjeux des communautés 2ELGBTQI+.

«Le chemsex on en voit depuis longtemps, mais pas de façon aussi importante (...) maintenant, ça fait partie de la réalité dans notre pratique médicale», constate-t-il.

Il déplore aussi l'absence de prévention effectuée par les autorités.

«On a des gens avec des problèmes de santé majeurs pour lesquels la santé publique doit jouer un rôle plus important, dit-il. L'augmentation des ITSS, le VIH qui est toujours là, les drogues dures et le chemsex, il n'y a pas plus santé publique que ça et encore, ce sont les cliniques du Village, les organismes communautaires qui en parlent et qui guident vers des ressources.»

«C'est clair que nos populations, comme celles qu'on a à l'Actuel, intéressent peu les gouvernements, explique le Dr Thomas. Il y a beaucoup de préjugés, beaucoup de stigmatisation où l'on associe le chemsex à des choix de vie, alors que ce sont des questions de vulnérabilité.»

Un «état des connaissances» en cours

Questionné par La Presse Canadienne au sujet d'une reconnaissance du chemsex comme un enjeu de santé publique, l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), répond qu'un état de connaissances sur les meilleures pratiques de santé publique relatives au chemsex est en cours de production.

Il indique également qu'une formation a été créée à ce sujet et qu'elle aurait été suivie sur une base volontaire par plus de 1000 personnes depuis son lancement en novembre 2023.

Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) ne s'est pas non plus prononcé sur une éventuelle reconnaissance du chemsex comme un enjeu de santé publique.

«La prévention des ITSS ainsi que l’information et la sensibilisation sur l’usage de substances psychoactives et la prévention des surdoses sont des priorités de santé publique et misent sur une approche intégrée plutôt que par pratiques, substances ou comportements», a expliqué par courriel le MSSS à La Presse Canadienne.

«Le chemsex, ou party and play, étant une pratique qui augmente les risques de transmission d’ITSS ainsi que le risque de surdose, elle préoccupe donc les acteurs en santé et services sociaux ainsi que la Santé publique», a-t-il ajouté.

Quentin Dufranne, La Presse Canadienne