Discours haineux: Poilievre dit que les libéraux veulent bannir des textes religieux

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Par La Presse Canadienne, 2025
OTTAWA — Le chef conservateur Pierre Poilievre affirme que la raison pour laquelle ses troupes s'opposent vigoureusement au retrait de la disposition du Code criminel qui permet de tenir des propos haineux ou antisémites lorsqu'ils sont fondés sur la religion est que l'amendement tente en réalité de «bannir des textes religieux», une accusation que les libéraux et bloquistes qualifient d'«absurde» et de «désinformation».
M. Poilievre s'exprimait pour la première fois en français sur le sujet alors qu'il répondait de manière non annoncée à une poignée de questions, jeudi, dans le foyer de la Chambre des communes, au dernier jour des travaux parlementaires avant la pause des Fêtes.
«M. Miller dit qu'il veut bannir des textes religieux et que c'est ça l'amendement qu'il propose», a-t-il fini par justifier en référence à des propos tenus en octobre par le ministre Marc Miller, à l'époque simple député, devant le comité de la Justice.
M. Miller, qui est favorable à la proposition du Bloc québécois pour le retrait de l'exception religieuse, notait alors que des passages de la Torah et de la Bible «expriment clairement de la haine envers, par exemple, les homosexuels».
«Je ne comprends pas comment on pourrait invoquer la notion de bonne foi, si quelqu'un citait littéralement un passage, en l'espèce, de la Bible, mais d'autres textes religieux disent la même chose, a-t-il poursuivi. Il est évident que ces textes contiennent des passages haineux. Ils ne devraient pas être utilisés pour invoquer... ou servir de défense.»
Les bloquistes rappellent pour leur part que c'est «derrière» cette disposition que s'est «caché» l'imam controversé Adil Charkaoui pour inviter «à la violence, à la haine, et même à la limite au génocide».
Lors d'une manifestation en 2023, M. Charkaoui avait appelé Dieu à se charger des «sionistes agresseurs» de la Palestine et à «n'en laisser aucun». Le directeur des poursuites criminelles et pénales avait par la suite renoncé à déposer des accusations après avoir déterminé que ce discours n'était pas haineux au sens du Code criminel.
Or, M. Poilievre a jugé que les propos de M. Charkaoui n'étaient pas protégés par l'exemption religieuse. «M. Charkaoui devrait être en prison et ce qu'il a dit est déjà criminel, a déclaré le chef conservateur. Et moi, je revendique au procureur général du Québec de faire des accusations criminelles contre M. Charkaoui.»
«S'il n'est pas de mauvaise foi, c'est quoi?»
Appelé à commenter dans un couloir de la Chambre des communes, le ministre de la Justice, Sean Fraser, a répondu que les propos de M. Poilievre sont «clairement de désinformation».
«Prétendre qu'il (l'amendement) interdira la prière est absurde. Affirmer qu'on ne pourra plus consulter un texte religieux est tout simplement insensé, a-t-il dit. La campagne lancée par les conservateurs pour semer la discorde entre les Canadiens, fondée sur une interprétation erronée, voire fallacieuse, (du projet de loi) est indigne.»
L'article 319(3)b) prévoit une exemption si «de bonne foi, (la personne a) exprimé une opinion sur un sujet religieux ou une opinion fondée sur un texte religieux auquel elle croit, ou a tenté d'en établir le bien-fondé par argument».
En entrevue, le porte-parole bloquiste en matière de Justice, Rhéal Fortin, semblait désarçonné par les propos du chef conservateur. «Pauvre Pierre», a-t-il lâché. «Mon Dieu Seigneur, s'il n'est pas de mauvaise foi, c'est quoi? Il lit mal le Code criminel?»
Selon lui, le fait que M. Poilievre ait pris autant de semaines avant de commenter en français signale qu'«il y a manifestement un malaise» parmi ses troupes et qu'il veut minimiser les risques de division d'ici à son vote de confiance à la fin janvier.
«La question moi que je me pose c'est: où sont les 11 députés conservateurs du Québec? Comment se fait qu'on ne les entend pas sur cet enjeu-là (...) au moment où on débat d'un enjeu aussi important», a-t-il noté.
Mardi, lors d'une réunion du comité qui étudie le projet de loi C-9 sur les crimes haineux, les députés libéraux ont appuyé l'amendement bloquiste au projet de loi du gouvernement.
Le texte législatif crée de nouvelles infractions pour l’intimidation ou l’entrave à l’accès aux lieux de culte, ainsi qu’aux écoles, aux centres communautaires et à d’autres lieux principalement utilisés par un groupe identifiable.
L'obstruction conservatrice s'est poursuivie jeudi au comité, ce qui a pour conséquence de ralentir les travaux. Des dizaines d'entre eux s'exprimaient longuement les uns après les autres – et avec souvent une bible posée bien en évidence devant eux.
Le leader du gouvernement à la Chambre des communes, Steven MacKinnon, s'est montré exaspéré par la tentative des conservateurs de modifier l'agenda législatif de sorte à étudier un autre projet de loi.
«Les conservateurs ont passé septembre, octobre, novembre et décembre à obstruer l'agenda le plus ambitieux contre le crime de l'histoire du Canada. Et maintenant, in extremis, à la dernière journée, ils arrivent et ils veulent tout réarranger, a-t-il envoyé. Que les conservateurs s'enlèvent du chemin!»
Michel Saba, La Presse Canadienne