Éduc'alcool revoit sa gouvernance et s'éloigne du milieu des boissons alcoolisées


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Par La Presse Canadienne, 2024
MONTRÉAL — Après avoir affronté quelques vents de face au cours des dernières années, Éduc'alcool — qui a pour mission d'informer et de sensibiliser les Québécois sur les saines habitudes de consommation d'alcool — fait de gros changements dans sa gouvernance et prend ses distances avec l'industrie des boissons alcoolisées.
«Après plus de trois décennies à œuvrer pour favoriser une consommation d’alcool responsable au Québec, Éduc’alcool entame un nouveau chapitre», écrit l'organisme à but non lucratif dans un communiqué diffusé mercredi.
Cinq personnes sur le conseil d'administration ont terminé leur mandat et quittent Éduc'alcool, et six recrues les remplaceront. «C'est un gros changement au niveau de la gouvernance», commente en entrevue le président du conseil d'administration, Sylvain Dupuis.
Pour lui, il était primordial d'éliminer «l'apparence de conflit d'intérêts» puisque les cinq membres qui quittent aujourd'hui étaient issus de l'industrie des boissons alcoolisées et des bars. Il précise que les changements ont commencé à être mis en branle l'an dernier, alors que l'organisme a modifié ses règlements généraux et sa structure de gouvernance. Les six nouvelles personnes n'ont rien à voir avec le milieu des bars ou de l'alcool, spécifie M. Dupuis.
Il assure qu'il n'y a jamais eu de réel conflit d'intérêts, mais il trouve que l'apparence est parfois pire pour une organisation. «[Les anciens membres du C.A] étaient là à titre personnel pour nous permettre de faire un exercice en profondeur pour établir les profils de compétences nécessaires pour bien rencontrer la mission. Pour avoir été avec ces gens-là pendant les deux dernières années, il n'y a jamais eu de conflit d'intérêts parce que sinon, moi, je n'aurais pas accepté de poursuivre», raconte le président.
La directrice générale, Geneviève Desautels, a du même souffle annoncé son départ, mercredi, de la direction générale d'Éduc'alcool.
Le processus de recrutement pour remplacer Mme Desautels a déjà été amorcé. D'ici le 4 juillet, si personne n'a été trouvé pour ce rôle, le président du conseil d'administration, Sylvain Dupuis, assumera l'intérim.
«Je suis fière du chemin parcouru avec une équipe dévouée et passionnée. Je quitte avec la conviction que les fondations sont solides pour poursuivre le développement de l’organisation et répondre aux défis contemporains liés à la consommation d’alcool», a déclaré par voie de communiqué Mme Desautels.
M. Dupuis n'a que de bons mots pour Mme Desautels et il souligne à grands traits ses talents de communicatrice. «Elle a une présence incroyable, dit-il, et c'est sûr que ce volet de porte-parole va nous manquer.»
La CAQ refuse le 0,05
En 2024, la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) a publié un avis mentionnant que d'imposer de nouvelles sanctions par rapport au taux d’alcool au volant dépassant 0,05 pourrait sauver jusqu’à neuf vies par année. Depuis, de nombreux rapports de coroners ont abondé dans le même sens. La Sûreté du Québec (SQ) est aussi en faveur d'une baisse du taux d'alcoolémie.
Au Canada, seuls le Québec et le Yukon utilisent encore une limite de 80 mg d’alcool par 100 ml de sang pour les conducteurs — le fameux 0,08. Pour l'heure, le gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ) refuse d'abaisser la limite imposée.
Depuis plusieurs années, Éduc'alcool s'est dit contre le 0,05. L'organisme a été appelé à se prononcer sur la question dans des commissions parlementaires, au fédéral et au provincial. En entrevue, M. Dupuis semble plus nuancé et il reconnaît que certaines périodes ont été «un peu difficiles» pour l'OBNL.
«Ce qu'on a dit, c'est que le 0,05 c'est bon, mais pas en isolation. Et c'est ça que les médias ont tenté de nous faire dire. C'est oui ou non le 0,05? Eh bien, c'est oui, mais... C'est vraiment une nuance dans le langage, et nous, on dit qu'il faut que l'ensemble des porte-parole qui vont parler de ce sujet-là tiennent en compte plusieurs autres facteurs à considérer. Le 0,05 seul ne réussira pas à faire le travail», explique M. Dupuis.
Il donne l'exemple des barrages routiers, où les policiers interceptent les conducteurs pour vérifier leur faculté de conduire. «Ça a été évoqué que les barrages, il n'y en avait pas suffisamment. Donc, au-delà du fait qu'on mette en place une politique, cette politique, si elle est isolée et qu'il n'y a pas d'autres éléments qui entourent cette approche, elle risque d'être un coup d'épée dans l'eau», soutient le président du C.A.
Fini les grandes campagnes de publicité
Éduc'alcool a annoncé un autre virage important: il délaisse les grandes publicités de masse pour se concentrer à sensibiliser des publics clés sur le terrain.
L'organisme a ciblé trois groupes en particulier. Il s'agit des jeunes post-secondaires, les entreprises de domaine corporatif et les bars, tenanciers et restaurants.
«Tous les gens connaissent Éducalcool, mais les gens disent, "on connaît, mais on est moins interpellé spécifiquement par la campagne ou par les messages". Donc, dans un contexte d'évolution, on s'est rendu compte que de parler à des groupes ciblés avait plus d'impacts que de faire des campagnes de masse», explique M. Dupuis.
Concrètement, Éduc'alcool veut discuter avec des intervenants de ces milieux, qui eux, vont parler ensuite aux consommateurs. Pour les écoles, par exemple, l'organisme souhaite s'adresser aux services étudiants, aux départements événementiels et à ceux qui interviennent auprès les jeunes, pour que ces derniers intègrent les messages de sensibilisation et transmettent de l'information.
Éduc'alcool n'en a pas nécessairement terminé pour toujours avec les grandes campagnes de publicité, soutient M. Dupuis, mais l'organisation veut d'abord travailler avec les trois groupes ciblés, puis développer d'autres approches dans le futur.
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Katrine Desautels, La Presse Canadienne