Indépendance judiciaire: rien ne doit être pris pour acquis, prévient le juge en chef


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Par La Presse Canadienne, 2024
OTTAWA — La démocratie est fragile et les Canadiens ne sont «pas à l'abri» des dérives qu'ils observent ailleurs dans le monde, bien qu'ils devraient demeurer «optimistes» vu qu'ils ont de bonnes institutions et un système judiciaire robuste, affirme le juge en chef de la Cour suprême du Canada, le plus haut tribunal du pays.
«Nous ne devrions rien prendre pour acquis», a lancé le juge Richard Wagner, lors de sa conférence de presse annuelle, mardi, à Ottawa.
Le magistrat a expliqué que partout où il va «tout le monde» lui demande s'il est craint que la manière dont la règle de droit et l'indépendance judiciaire sont prises pour cible par le président américain Donald Trump ne déborde au Canada.
«Quand vous voyez des gouvernements attaquer des médias, des juges, des avocats et des universités, bien sûr, il y a de bonnes chances que vous soyez face à une dictature, un gouvernement autocratique, a-t-il dit en se gardant bien de nommer le voisin du sud. Nous devons être prudents.»
Le juge a reconnu que le système canadien a ses défis, dont le sous-financement, les délais et les coûts, mais il estime qu'il repose sur des bases «solides».
Les juges sont bien formés, indépendants, impartiaux et guidés par des principes éthiques, a insisté M. Wagner. Ils sont nommés à travers «un processus ouvert, transparent et non partisan».
Selon le juge, «les principaux acteurs respectent la séparation des pouvoirs, respectent l'indépendance judiciaire et sont heureux de vivre dans un pays où la règle de droit prime – tout le monde est égal devant la loi».
Évoquant les dommages que provoque la désinformation, notamment «à cause évidemment de l'évolution exponentielle des médias sociaux», le juge a affirmé que tous, «en commençant par les élus», doivent contribuer à partager de l'information factuelle.
Au passage, M. Wagner s'est réjoui que ses pressions pour qu'Ottawa presse le pas dans la nomination des juges des cours fédérales aient porté fruit. La proportion de postes vacants de juges a été réduite de 75 % dans la dernière année et demie, a-t-il noté.
Clause dérogatoire et poids du Québec
Appelé à préciser si la contestation de la loi 21 du Québec sur l'interdiction du port des signes religieux chez certains employés de l'État, y compris les enseignants, devrait être tranchée rapidement – avec, au cœur du litige, l'utilisation préventive de la clause dérogatoire –, le juge Wagner a assuré que le tribunal ne se traîne pas les pieds.
«On va entendre le dossier quand il sera prêt», a-t-il dit en expliquant que le dépôt de toutes les procédures n'est pas échu, la date limite étant fixée au 17 septembre.
D'ores et déjà, M. Wagner a noté qu'une quarantaine de demandes d'intervention ont été présentées, «et ce n'est pas fini». Ainsi, il croit que la Cour devra prévoir de manière «exceptionnelle» trois jours pour entendre la cause.
Quant à l'idée qu'il pourrait y avoir un risque pour l'indépendance judiciaire advenant qu'Ottawa accorde au Québec plus de pouvoirs dans la nomination des juges de tous les tribunaux de la province, le juge Wagner rétorque que cela ne serait qu'«une décision politique».
Or, lors de la campagne électorale, c'est précisément l'argument qu'avait servi l'équipe du chef libéral et désormais premier ministre Mark Carney en balayant du revers de la main la demande du Québec.
Dans les jours qui ont suivi, l'Assemblée nationale a adopté une motion unanime réclamant que le Québec soit davantage impliqué dans le processus de nomination des juges de la Cour supérieure et de la Cour d'appel.
Actuellement, c'est Ottawa qui nomme ces magistrats, sur recommandation des comités consultatifs où siège le Québec. En revanche, la province s'occupe de nommer les juges de la Cour du Québec et des cours municipales.
Michel Saba, La Presse Canadienne