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Jacques Pépin est tailleur de sabots de vache - ou pareur d'onglon - depuis 46 ans

durée 10h15
3 août 2025
La Presse Canadienne, 2025
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Temps de lecture   :  

5 minutes

Par La Presse Canadienne, 2025

VICTORIAVILLE — La vache s’approche tranquillement d’une structure métallique verticale de la taille d’une porte de grange. Jacques Pépin immobilise sa tête avec douceur et lui passe des sangles sous le ventre, des gestes posés avec précision et délicatesse. Puis, la vache est légèrement soulevée, la table basculante hydraulique se place à l’horizontale et les pattes sont immobilisées.

Jacques Pépin, 68 ans, tailleur de sabots de vaches depuis 46 ans, est venu exercer son métier à l’exposition agricole de Victoriaville. «Le nom scientifique, c'est du parage d'onglons, mais nous autres au Québec on appelle ça du taillage de sabots», dit-il en maniant la meuleuse angulaire et la lime, ses principaux outils.

L’ambiguïté entre les deux termes est manifeste sur le site de l’Association des pareurs d’onglons du Québec (APOQ), fondée en 2013, où l’on peut lire: «Pourquoi pareurs d'onglons et non pas comme la majorité le dit, tailleur de sabot? C'est pour son côté plus professionnel de l'appellation ainsi que dans le but d'amener l'ensemble de l'industrie à utiliser la bonne expression lorsqu'il est question de soins des pieds et membres des bovins laitiers.» Mais on ajoute du même souffle qu’«afin de satisfaire l'ensemble des membres» l'Association a comme devise «Pour le taillage professionnel des onglons!»

Le confort

«On essaie d'amener l’animal à être confortable sur ses pattes, explique Jacques Pépin, qui a siégé longtemps à l’exécutif de l’APOQ. J'ai dit bien confortable parce que c'était un mot auquel les gens ne pensent pas quand on parle de vaches, mais c'est très important. Tu as beau avoir la meilleure alimentation du monde, si la vache ne peut pas aller à la mangeoire ou qu'elle ne se lève pas pour aller manger, tu es perdant. La base de l'entreprise agricole, ce sont les sabots. Sauf qu'on n'est pas encore rendu là, de faire comprendre aux gens que c'est très important le confort animal par les pieds.»

Son entreprise, Technique Pepito, est sollicitée au point où il travaille «sept jours par semaine», dit le sexagénaire comme si c’était la chose la plus naturelle au monde. Avec la table hydraulique, l’entreprise peut faire de 25 à 30 vaches par jour, mais elle a aussi ce qu’il appelle «un gros rack qui soulève la vache, qui nous met à notre aise et tout» qui lui permettra d’en faire de 50 à 55 par jour. Il ajoute, avec une pointe de dédain, qu’il y a «beaucoup de tailleurs aujourd'hui qui vont faire 100-125-140 vaches! Mais ce n'est peut-être pas nécessairement la meilleure option», dit-il sans aller jusqu’à affirmer que le travail n’est peut-être pas fait avec toute l’attention qu’il mérite.

Du clippage au parage

Il y a selon lui environ 150 pareurs d’onglons – ou tailleurs de sabots, c’est selon – qui exercent ce métier pratiquement inconnu en dehors du milieu de la production laitière et bovine. Il n’y en avait pratiquement aucun à l’époque où Jacques Pépin a commencé dans la vingtaine, mais il connaissait bien les vaches laitières, son père étant éleveur d’Ayrshire. À 12 ans, il avait appris à les clipper pour les expositions. «Le clippage d'exposition, c'est ce qu'ils font dans les étables, la tonte, pour mettre le dos droit, raffiner les membres, aller chercher une tête fine, le cou plus fin.» À 18 ans, il donnait sa première conférence sur le clippage d'exposition.

Le passage au parage ne fut donc pas difficile: «Le principe de la tonte d'exposition est le même que pour le taillage de sabots. C'est toujours le surplus qu'on enlève pour égaliser. En enlevant le surplus, on améliore automatiquement le pied de la vache. Même si on ne l'améliore pas à 100 %, on l'améliore. On n'a pas perdu.»

«Le gars qui va essayer d'aller chercher 100 % de son taillage, il va pogner le sensible, il vient de perdre au lieu de gagner parce que sa vache, elle va être sensible, donc il a brisé plutôt que réparé. J'ai donné beaucoup de formations dans les écoles d'agriculture et on dit tout le temps aux gens d’aller chercher le maximum sans briser l'animal. C'est ce qui est le plus important pour moi. Quand on donne des formations, on dit aux jeunes qu’on ne sera jamais bon parce que chaque nouvelle bête est une nouvelle expérience.»

Pionnier autodidacte

Mais lui, un des pionniers de la pratique au Québec, n’a pas appris dans une école d’agriculture. «J'ai appris tout seul. Je calcule que ça m'a pris 14 ans à apprendre à tailler les pieds de vaches. Je suis allé chercher un peu d’expérience avec un Américain qui en faisait depuis 25 ans. Puis avec un gars avec qui je faisais affaire pour du commerce d'animaux, à Coaticook, et dans la même année, j'étais allé voir travailler un monsieur à Toronto qui en faisait depuis 40 ans.»

Même s’il est probablement un des experts les plus reconnus – sa façon de faire est d’ailleurs connue sous le nom de «technique Pepito» à travers le monde – il estime avoir encore à apprendre des autres. «J'ai toujours pris les suggestions de chaque personne, qu'elle connaisse ça ou qu'elle ne connaisse pas ça. Des fois, un gars arrivait et me disait: "ben, ton talon, il est haut un peu". Bien, peut-être, on va vérifier.»

Il dit aussi encore apprendre de ses erreurs. «Les erreurs ne sont pas toutes mauvaises. Il y a des erreurs qui sont bénéfiques et quand tu te mets à l’analyser, tu te dis "ah? ça fait bien ça". Et tu l'essaies comme ça ensuite. Mais c’est important, aussi, d'admettre ses erreurs, parce que des fois, on en manque une. Il faut être capable de dire au client: "regarde, j'ai manqué mon coup". Je trouve que c'est une valeur énorme parce qu’en même temps, ça te permet d'apprendre parce que si tu acceptes ton erreur, tu vas être capable de la corriger. Si tu ne les admets pas, tu ne peux pas les corriger.»

Jusqu'en Suisse

Il lui a fallu un certain temps avant de comprendre que sa réputation avait fait du chemin.

«J'ai eu au-dessus de 60 personnes qui sont venues apprendre avec nous autres. Puis un jour, j'ai eu un appel d’un monsieur dans le Jura, en Suisse. Quand il a appelé la première fois, je me suis dit que c’était une joke. Mais quand j’ai regardé le numéro de téléphone, j'ai dit, tabarouette, ce n'est pas un numéro de par ici, ça. J'ai réalisé que c'était vrai. À l'automne, il était venu apprendre avec nous autres. On lui a envoyé une machine comme ça en Suisse», dit-il en montrant la table à bascule.

«Il y avait là-bas une méthode de donner trop de talon, mais quand il est rentré après sa formation, il a eu beaucoup beaucoup de clientèle parce que les gens brisaient les vaches.»

Jacques Pépin aime son métier et rêve d’être invité à l’étranger pour le propager. «Être capable d'aller dans d'autres pays, donner des formations, mais ne pas être obligé de payer pour y aller», dit-il avec un sourire complice. «C'est tellement important pour moi. C’est la base de l'élevage, les sabots. J’aurai travaillé toute ma vie pour le faire comprendre.»

Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne