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L'UPA affirme que ses membres ne peuvent soutenir la concurrence du dumping

durée 16h02
20 novembre 2025
La Presse Canadienne, 2025
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Par La Presse Canadienne, 2025

MONTRÉAL — Vous êtes dans la section des fruits et légumes de votre épicerie et vous voyez deux paquets de carottes. L’un est beaucoup moins cher que l’autre. De prime abord, la logique de consommateur averti vous fera pencher pour le moins cher.

Ajoutons un élément additionnel à votre réflexion. Le paquet plus cher a été cultivé au Québec, l’autre provient d’un autre pays, Chine, Égypte, Thaïlande ou autre. Faites-vous le choix d’acheter canadien ou québécois, comme vous y invitent les premiers ministres Mark Carney et François Legault ou si le prix reste votre critère prioritaire?

Poussons la réflexion encore plus loin. Les carottes importées ont été cultivées, cueillies, emballées par une main-d’œuvre sévèrement exploitée, ont peut-être poussé avec l’aide d’un pesticide, d’un herbicide ou d’un engrais interdits ici par les autorités de santé publique et le producteur qui l’exporte n’est soumis à aucune norme environnementale pour sa production. Leur transport laisse aussi une empreinte carbone importante.

Les carottes québécoises, elles, proviennent d’un producteur local qui embauche une main-d’œuvre qui, sans être grassement payée, a droit à des conditions de travail largement supérieures. La fertilisation, le contrôle des insectes et mauvaises herbes de leur culture sont encadrés et les producteurs sont soumis à une réglementation et des mesures environnementales qu’ils estiment sévères et surtout coûteuses, même si d’autres les trouvent insuffisantes. Leur empreinte carbone est proportionnelle à la distance parcourue, c’est-à-dire minime.

Appel à la cohérence

Vous tournez-vous toujours vers le paquet le moins cher? C’est là le dilemme que soulèvent l’Union des producteurs agricoles (UPA) et plusieurs regroupements du secteur horticole (maraîchers, pommes de terre, serres, fraises et framboises, légumes de transformation, notamment) en appelant Québec et Ottawa à faire preuve de cohérence et à alléger leur fardeau administratif.

Selon le président de l’UPA, Martin Caron, les droits de douane imposés par l’administration Trump ont mené ces pays exportateurs à se tourner vers d’autres marchés, dont le Canada, pour écouler leurs productions à rabais. «Nos récoltes, dans bien des cas, sont dans des entrepôts et en même temps on voit apparaître des aliments d’autres pays qui sont l'expression du dumping qui est fait ici.»

L’impact de cette entrée massive de produits d’ailleurs, que les exportateurs préfèrent vendre moins cher que de les perdre – ce qui constitue du dumping – attaque la compétitivité des productions locales, dit-il. «Ces produits-là de l'extérieur n'ont pas les mêmes exigences que nous, que ce soit environnementales, que ce soit au niveau salarial ou des conditions de travail des gens qui sont loin d'être les mêmes ici.»

Porte ouverte aux importations

En matière de normes et d’exigences, le président de l’UPA ne décolère pas. «Nos gouvernements disent qu’on a des règles ici au niveau canadien et provincial pour sécuriser la population. Nous, les producteurs agricoles, on dit ok, on va respecter les règles environnementales, on va respecter les règles pour le bien de nos citoyens consommateurs. Quand on laisse entrer des aliments d’ailleurs, c'est comme si on se fermait les yeux et qu’on décidait que les valeurs qui sont importantes pour nous au Canada et au Québec, c'est bon pour nos gens, mais les autres peuvent arriver avec n'importe quoi de différentes façons que c'était fait.»

L’UPA ne prône pas de retirer les obligations environnementales des producteurs, mais Martin Caron croit qu’un allégement est possible dans certains cas comme, par exemple, la récente réglementation sur les eaux de lavage, c’est-à-dire l’eau que l’on utilise pour laver les fruits et légumes. «J'enlève les carottes, il reste un peu de terre dessus, je veux les laver. Donc, j’y vais avec un système de lavage avec de l'eau. Évidemment, l'eau est un peu salie avec de la terre, mais là, le ministère de l’Environnement nous dit qu’avant de retourner cette eau, même dans les champs, il faut t'assurer qu’il n’y a quasiment plus de trace de terre. Et la norme qu'on a mise en application ici, c'est une norme que l'on ne voit nulle part au monde.»

Pour arriver à ce résultat, un producteur doit investir, selon lui, de 200 000 $ à 300 000 $ dans l’équipement de traitement de l’eau. «Comment voulez-vous qu’on soit compétitifs avec des productions qui ne sont soumises à aucune de ces normes?», s’interroge-t-il.

Toujours la taxe carbone

Autre point de discorde qui vise particulièrement le Québec, et ce, depuis longtemps, c’est le maintien de la taxe carbone, peste Martin Caron: «Nous sommes la seule province qui a encore un tarif carbone appliqué à nos producteurs de serre, à nos producteurs maraîchers et on nous demande d'être compétitif avec le reste du Canada et les autres pays qui n'ont pas cette norme-là? Ben voyons donc, comment est-ce qu'on peut compétitionner? Et pourtant quand arrivent des produits de l'extérieur, on fait fi de ça. Même s’ils n’ont pas un marché du carbone, non, non on les laisse entrer»

«On a doublé la production en serre parce qu'on voulait avoir une autonomie, poursuit-il. Les producteurs ont contribué et ils veulent y aller. Avec le tarif sur le carbone, on est en train de les étouffer. Et puis on arrive avec des produits du Mexique qui les concurrencent, mais qui n'ont pas les mêmes tarifs à payer», laisse-t-il tomber avec amertume.

Carottes chinoises dans les CIUSSS

Martin Caron entend par ailleurs le discours d’achat local des politiciens, mais il ne mâche pas ses mots à l’endroit du gouvernement Legault, dont la Stratégie nationale d'achat d’aliments québécois (SNAAQ) ressemble à un gruyère: «Est-ce que les citoyens et citoyennes sont au courant qu’à certains endroits dans les CIUSSS on trouve des carottes de la Chine dans les repas et aussi dans des CPE (centres de la petite enfance)? Quand je parle de ça à des politiciens, ils disent tous que c’est inacceptable, que ça n'a pas de bon sens. Alors, qu'est-ce qu'on fait? Qui gère ça pour s'assurer que ça ne se passe pas?»

«Je comprends que les gens regardent les prix en fonction de leur budget, reconnaît le président de l’UPA. Mais je pense qu'il faut leur expliquer la réalité aussi du côté économie au niveau rural, tout le dynamisme rural, les jobs qu'on crée dans tout son ensemble. Et ici, quand on met des règles, on est capable de dicter comment on veut notre agriculture, comment on veut nos produits.»

Réciprocité des règles

Au-delà des allègements et d’une véritable politique d’achat local, il faut être cohérent, martèle Martin Caron. Si on place la barre si haut pour les agriculteurs d’ici afin de protéger la santé de la population et de l’environnement, pourquoi devrait-on accepter des aliments dont la production est libre de toutes ces contraintes? «Cette cohérence par rapport aux discours va être importante pour nos producteurs et productrices parce qu'eux ne comprennent pas. Ils écoutent les politiciens qui disent que l'achat local, c'est important et ils voient le stock des autres pays qui entre. Qui a autorisé l’entrée de ces produits qui n'ont pas les mêmes conditions environnementales, qui n'ont pas les mêmes règles que ce qu’on nous dit de faire chez nous parce qu'on veut protéger nos citoyens et nos consommateurs?»

Il faut, dit-il, «la réciprocité des règles qu’on a mises en place pour la protection des citoyens. Les exigences qu'on nous met ici, il faut être capable de les appliquer ailleurs si on dit que c'est pour le bien de nos gens, de nos citoyens et citoyennes. Si l'on est vraiment pour le bien des citoyens, on va s'assurer que les autres pays respectent les lignes qu'on a mises en place pour protéger nos gens.»

Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne