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La loi 2 réduira l'accès aux soins de santé de la femme, alertent deux associations

durée 05h30
4 décembre 2025
La Presse Canadienne, 2025
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Temps de lecture   :  

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Par La Presse Canadienne, 2025

MONTREAL — Contraception, avortement, test de dépistage du cancer du col de l'utérus, suivi de grossesse, examen gynécologique: de nombreux soins de santé de la femme sont dans l'angle mort de la loi 2, préviennent ce jeudi l’Association des omnipraticiens en périnatalité du Québec (AOPQ) et l’Association des obstétriciens et gynécologues du Québec (AOGQ). Elles ont peur pour les patientes si la loi n'est pas corrigée.

L'enjeu se situe à deux niveaux. D'abord la majorité des soins de santé de la femme sont des pastilles vertes (en santé). Deuxièmement, les cliniques ne seront pas reconnues comme atteignant les cibles de performance si elles voient des patients appartenant à d'autres regroupements de médecins, ce qui est souvent le cas des suivis de grossesse.

Rappelons que le gouvernement veut que les médecins de famille prennent en charge en priorité les patients avec une affection majeure (pastille rouge). L'une des mesures phares de la loi 2 est que la rémunération des médecins soit davantage liée à la capitation (où c'est plus payant d'avoir des pastilles rouges sur sa liste de patients).

La Dre Angie Brockman, médecin de famille et présidente de l'AOPQ, donne l'exemple des contraceptifs pour illustrer les lacunes de la loi pour les soins de la femme. Un médecin recevrait entre 3 $ et 17 $ pour une pose de stérilet, selon le calcul de l'association.

«Ça va être une pratique déficitaire. En plus, c'est une procédure qui a un inconfort, il faut gérer la femme, respecter son temps. Même chose pour l'implant contraceptif, le Nexplanon, où c'est souvent les plus jeunes. Il faut faire une anesthésie locale. Des fois, elles sont un peu étourdies, elles font une chute de pression. Ce n'est pas quelque chose qu'on peut pressuriser dans le temps», fait valoir la docteure.

Elle indique que 80 % de ses patientes ne sont pas inscrites dans la clinique où elle travaille, la plupart n'ont pas de médecin ou celui-ci ne fait pas de suivi de grossesse.

«Toutes ces patientes, pour la partie de la capitation, elles ne valent rien, se décourage la Dre Brockman. À partir du 1er avril 2026, elles ne valent rien pour moi, et elles ne valent rien pour ma clinique parce qu'elles sont pastilles vertes, mais encore plus, elles ne sont pas inscrites pour la plupart dans mon GMF (groupe de médecine de famille). Je ne serai pas leur médecin pour toujours. Je suis leur médecin pour cet épisode de soins.»

Dre Brockman martèle qu'il y a urgence d'agir parce qu'elle entrevoit le pire pour ses patientes enceintes.

«Les patientes que j'ai vues cette semaine ou que je vais voir la semaine prochaine, elles accouchent en juillet. [...] Le gouvernement nous dit: ''on va vous expliquer plus tard''. Mais en ce moment, dans la loi 2, les femmes enceintes, les grossesses, c'est nulle part», s'insurge-t-elle.

«Et la FMOQ (Fédération des médecins omnipraticiens du Québec) nous a confirmé que pour le moment, il n'y a aucune exception prévue ou attendue, aucune discussion qui est en train d'éclore. Pour le moment, il n'y a rien prévu de différent pour les femmes enceintes dans la loi 2», déplore la présidente de l'AOPQ.

Les gynécologues ont déjà en plein les bras

L’Association des obstétriciens et gynécologues du Québec est tout aussi inquiète même si ces mesures de la loi ne les affectent pas au même niveau. En médecine spécialisée, on ne peut pas consulter un gynécologue pour un examen de dépistage de routine ou pour de la contraception de base. Ils s'occupent des cas complexes.

«On a des fois des années de délai pour des problèmes qui nécessitent notre expertise, soutient la Dre Liliane Brassard, vice-présidente de l'AOGQ. Si en plus on se tourne vers nous pour pallier la première ligne, ça ne le fera pas. On n'a déjà pas cette capacité de voir nos femmes qui ont vraiment besoin de nos soins spécialisés.»

La médecin spécialisée en obstétrique et gynécologie se demande ce qu'il adviendra des femmes enceintes dans les cliniques qui font exclusivement des suivis de grossesse. Certaines risquent de fermer leur porte. «Ça peut faire en sorte que les femmes n'auront pas accès à un suivi de grossesse approprié, ce qui serait une catastrophe au Québec», prévient Dre Brassard.

Elle cite l'Organisation mondiale de la santé qui affirme qu'une patiente devrait avoir au minimum huit visites de grossesse par année, ce qui diminue le risque de décès chez la mère enceinte, le bébé et l'enfant à venir.

Dre Brassard dit donner «le bénéficie du doute» au ministre de la Santé, Christian Dubé, de ne pas avoir pensé aux nuances pour les soins aux femmes. «M. Dubé, sa loi, il ne l'a pas fait seul. Et j'ai l'impression qu'ils ont comme oublié peut-être certaines pratiques plus spécialisées en santé de la femme, puis il faut que ça soit revu, il faut que ça soit corrigé», plaide la vice-présidente de l'AOGQ.

Tout le monde tire la couverte de son bord

La semaine dernière, le gouvernement du Québec et la FMOQ ont convenu de reprendre les discussions à la table de négociation. Le gouvernement est prêt à accepter des modifications à la loi 2, mais en gardant dans sa mire qu'une partie de la rémunération des médecins de famille demeure conditionnelle à la prise en charge d’un nombre accru de Québécois.

Cela ne donne pas tellement d'espoir à la présidente de l'Association des omnipraticiens en périnatalité du Québec.

«Parce que Dr Amyot (le président de la FMOQ), il essaie de faire son gros possible. On est 10 000 médecins de famille, puis moi, j'essaye de défendre un petit 400 (médecins). Tout le monde essaie de tirer la couverte de son bord, mais [...] j'ai vraiment peur qu'on passe dans une craque [...] que ça ne soit pas assez lourd dans la balance parce que c'est une petite niche, alors j'ai peur que ça passe inaperçu et que ça ne soit pas la priorité de notre gouvernement et malheureusement dans le lot du branle-bas, probablement pas la priorité de ma fédération», admet la Dre Angie Brockman.

Elle exhorte le ministre Dubé à corriger sa loi 2 pour garder une portion à l'acte ou les bonifier pour certains services jugés spécialisés, dont les suivis de grossesse, la contraception et l'avortement.

La couverture en santé de La Presse Canadienne est soutenue par un partenariat avec l'Association médicale canadienne. La Presse Canadienne est seule responsable de ce contenu journalistique.

Katrine Desautels, La Presse Canadienne