La recommandation de mettre fin au courrier livré à domicile ravive les inquiétudes


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Par La Presse Canadienne, 2024
Un récent rapport de la Commission d'enquête sur les relations de travail recommandant l'élimination progressive du service de livraison à domicile par Postes Canada suscite des inquiétudes.
Judy Frank affirme que ne plus recevoir de courrier à sa porte lui compliquerait la vie.
Cette femme de 78 ans de Regina est incapable de faire plus que quelques pas. Elle aura besoin de quelqu'un pour récupérer son courrier si Postes Canada met fin au service de livraison à domicile.
«C'est très dangereux», a-t-elle lancé lors d'une récente entrevue, en montrant le trottoir irrégulier et fissuré devant sa maison.
Sa fille, Kyara Moon, a raconté que Mme Frank s'était déjà cassé le poignet après une chute.
Mme Moon vit avec sa mère et a également des problèmes de mobilité. Elle affirme que la livraison à domicile aide les gens à préserver leur autonomie.
«Nous essayons de maintenir les personnes âgées à domicile, a-t-elle soutenu. Je suppose que nous allons devoir aider les personnes qui ne peuvent pas recevoir leur courrier, si les choses continuent comme ça.»
Le récent rapport recommande de remplacer le service de porte à porte par des boîtes postales communautaires.
On y indique que la baisse du volume de courrier a rendu la livraison à domicile financièrement insoutenable. Environ 25 % des adresses canadiennes, soit environ quatre millions de foyers dans les vieux quartiers, continuent de recevoir du courrier à leur porte.
Postes Canada estime qu'elle économiserait environ 350 millions $ par année en convertissant toutes les adresses en boîtes postales communautaires, tout en offrant une livraison à domicile sélective aux personnes handicapées.
Joan Lang, résidente de Regina, est favorable à la livraison à domicile. Sans elle, elle affirme que certains postiers perdraient probablement leur emploi.
Mais elle dit pouvoir s'habituer à aller à une boîte aux lettres. Ce n'est pas la première fois que les modes de vie sont appelés à changer.
«Avant, on se faisait livrer du lait à domicile, mais maintenant, on a l'habitude d'aller au magasin», a-t-elle souligné.
Frankie Thornhill, résidente de Calgary, a indiqué que Postes Canada pourrait effectuer la livraison à domicile une fois par semaine, et non tous les jours.
De nombreuses personnes âgées en ont besoin, croit-elle. «Il y a des personnes âgées qui doivent marcher deux pâtés de maisons pour se rendre à la boîte postale. Ce n'est pas bien.»
Postes Canada est en conflit avec le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes au sujet d'une nouvelle convention collective. La société d'État a reçu un préavis de grève du syndicat lundi. Jeudi soir, juste avant la date limite de grève, le syndicat a demandé l'arrêt des heures supplémentaires.
Le syndicat a admis être en désaccord avec la plupart des recommandations du rapport et contester «certaines des informations sur lesquelles il se fonde».
La société d'État a commencé à éliminer progressivement la livraison à domicile en 2014, ce qui a entraîné la conversion d'environ 830 000 foyers en boîtes postales communautaires. Cette mesure a été impopulaire dans de nombreux quartiers, où les résidents se sont plaints de la perte d'accessibilité et de commodité. Certains ont également déploré les dommages et les déchets autour des boîtes postales.
Le gouvernement libéral fédéral de l'ancien premier ministre Justin Trudeau a imposé un moratoire en 2015, empêchant Postes Canada de procéder à d'autres conversions.
Melissa Graham, directrice générale de la Ligue manitobaine des personnes handicapées à Winnipeg, a expliqué que le remplacement du courrier à domicile par des boîtes postales communautaires créait des obstacles.
«Les boîtes postales se congelaient. Elles se trouvaient dans des endroits difficiles d'accès pour les personnes à mobilité réduite», a précisé Mme Graham. «Il n'y avait souvent pas de braille, ce qui rendait la recherche de sa boîte aux lettres difficile.»
Mise en garde contre une «opposition massive»
Le rapport indique que Postes Canada dispose d'un programme d'adaptation aux personnes ayant des besoins en matière d'accessibilité et que ce programme devrait être révisé et amélioré au besoin.
Il recommande également la levée du moratoire de 1994 qui empêche Postes Canada de fermer des bureaux de poste ruraux.
Le rapport ne fournit pas de liste des bureaux de poste qui devraient fermer, mais il souligne que certains bureaux de poste situés dans des banlieues qui étaient classés comme ruraux ne le sont plus. Par exemple, les bureaux de poste des municipalités ontariennes de Milton et de Richmond Hill ne répondent plus aux critères ruraux, même s'ils étaient classés comme tels en 1994.
Le bureau de poste de Stittsville, en banlieue d'Ottawa, était également classé comme rural avant sa fusion avec la capitale.
Glen Gower, conseiller municipal de Stittsville, a indiqué que la communauté était rurale il y a 25 ans, mais qu'elle a changé. Elle dispose maintenant d'un deuxième comptoir postal, a-t-il ajouté.
Selon M. Gower, le remplacement du bureau de poste original par des logements abordables répondait aux besoins de la communauté.
«Il est situé sur une immense terre de la Couronne. Mais je tiens à m'assurer que les services postaux soient maintenus», a-t-il déclaré.
«Je pense que (le bureau de poste original) importe moins qu'il y a 25 ans.»
Le rapport indique que la fin des moratoires sur les bureaux de poste ruraux et les boîtes communautaires pourrait susciter une opposition massive de la part du public.
«Même avec une consultation publique, il est fort probable que les communautés locales s'y opposeront vigoureusement, tout comme le syndicat», peut-on lire dans le rapport.
Jeremy Simes, La Presse Canadienne