La veille de la publication d'allégations, les rumeurs avaient coûté 30M$ à Rozon


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Par La Presse Canadienne, 2024
MONTRÉAL — Avant même que l’enquête du quotidien Le Devoir et du 98,5 FM sur les allégations d’inconduites sexuelles de Gilbert Rozon ne soit publiée, le 19 octobre 2017, les rumeurs entourant ces révélations à venir avaient provoqué une fuite de capitaux de l’ordre de 30 millions $ entre 17h et 20h la veille, soit le 18 octobre.
Témoignant pour une troisième journée à son procès civil, mercredi, l’ex-magnat déchu de l’humour a qualifié l’atmosphère au sein de l’entreprise Juste pour rire de «cataclysmique» dans les heures précédant la publication de l’article. «L’entreprise, pourtant très saine, est en voie d’imploser», a-t-il raconté alors que les gouvernements gèlent les subventions et les commanditaires en font autant devant ce qui n’est toujours que rumeurs à cet instant.
Québecor l’avise également de la rupture de leurs liens d’affaires alors que les deux entreprises sont dans le processus de conclure une importante entente de 18 à 20 millions $ par année sur cinq ans pour des droits de télédiffusion et autres activités périphériques. Il n’est d’ailleurs pas impossible que le PDG de Québecor, Pierre Karl Péladeau, soit appelé à témoigner, mais cette question n’est pas encore réglée.
«Il y avait déjà un bûcher»
«Il y avait déjà un bûcher d’élevé et on me brûlait déjà de loin», a laissé tomber Gilbert Rozon lors de son témoignage.
Quand il a lu l’article, publié vers 2h00 du matin le 19, il a compris qu’on allait «jouer sur le nombre» – l’enquête faisait état de neuf victimes de harcèlement ou d’agression sexuelle – qu’il serait question d’argent qu’on lui réclamerait et qu’on allait ressortir et lier avec ces allégations le fait qu’il avait plaidé coupable d’avoir agressé sexuellement une jeune croupière lors d’une fête au Manoir Rouville-Campbell près de 20 ans plus tôt, en 1998.
Gilbert Rozon affirme qu’il aurait pu faire faillite à ce moment, avec une perte subite de 30 millions $ de l’entreprise en quelques heures, mais «je préférais mourir personnellement plutôt que l’entreprise meure».
L’homme a donc dû démissionner sur-le-champ, préparer une déclaration pour publication sur les réseaux sociaux et il s’est mis en quête d’un acheteur au plus vite. «Il faut tenir le coup jusqu’à la vente», a-t-il raconté. Il a aussi démissionné du même coup de ses postes de Commissaire aux fêtes du 375e de Montréal et de vice-président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain.
Avec des dénonciations qui venaient de l’interne comme de l’externe, des humoristes se dissociant du Festival Juste pour rire pour créer leur propre événement parallèle, «ç’a été l’hécatombe autour de moi», s’est rappelé Gilbert Rozon. Ses fils sont entrés en dépression comme plusieurs collègues de travail, «ma mère en est morte en quelques mois».
Consommation d'ecstasy
Le témoignage de Gilbert Rozon s’était amorcé par un retour sur ses habitudes de vie. Bien qu’il ait évoqué une discipline en matière d’exercice et d’alimentation, il a reconnu consommer de l’ecstasy en microdoses sur une base régulière dans les moments d’activité les plus intenses pour l’«aider à fonctionner».
Puis, son avocate est de nouveau revenue sur le dossier du Manoir Rouville-Campbell. Gilbert Rozon a affirmé à nouveau avoir été convaincu à contrecœur de plaider coupable par sa famille. Sa version des événements diverge des faits admis en Cour à l’époque.
Selon lui, après avoir dragué la jeune croupière, celle-ci a accepté de le suivre à sa chambre, s’est assise sur le lit et lui se serait agenouillé devant elle pour lui caresser les jambes. Il affirme lui avoir probablement caressé les dos et «peut-être effleuré les seins», mais a nié avoir mis sa main sous son corsage. La jeune femme, a-t-il soutenu, était mal à l’aise et a quitté et Gilbert Rozon a attribué ce malaise au fait qu’elle craignait possiblement d’être réprimandée par son employeur.
Gilbert Rozon avait par la suite obtenu une absolution inconditionnelle dans ce dossier.
Son témoignage se poursuit en après-midi.
Un long parcours judiciaire
L’ex-magnat de l’humour est poursuivi pour environ 14 millions $ au civil par neuf femmes qui lui reprochent de les avoir agressées sexuellement. La poursuite intentée par Patricia Tulasne, Lyne Charlebois, Anne-Marie Charrette, Annick Charrette, Sophie Moreau, Danie Frenette, Guylaine Courcelles, Mary Sicari et Martine Roy fait suite à une demande, en 2017, d’autorisation d’action collective contre l’homme d’affaires par un groupe de femmes surnommé Les Courageuses. D’abord accueillie en première instance en 2018, Gilbert Rozon a obtenu que cette demande soit rejetée par la Cour d’appel en 2020.
Parallèlement, 14 femmes avaient porté plainte à la police, mais le Directeur des poursuites criminelles et pénales n’avait retenu que celle d’Annick Charrette. Gilbert Rozon avait été acquitté en 2020 sur la base du doute raisonnable.
Patricia Tulasne, qui agissait comme porte-parole des Courageuses, avait été la première à déposer une poursuite civile contre M. Rozon en avril 2021. Les huit autres femmes avaient suivi et l’ensemble des poursuites avaient été regroupées pour mener au procès qui s’est ouvert en décembre dernier et qui a été interrompu à maintes reprises en raison de débats sur des questions de droit.
Jusqu’ici 42 témoins ont été entendus en poursuite, incluant les neuf plaignantes et sept autres femmes, dont Julie Snyder, Salomé Corbo, Pénélope McQuade et l’ex-conjointe de Gilbert Rozon, Véronique Moreau, qui ont toutes soutenu avoir aussi subi des abus de nature sexuelle de la part du défendeur.
Gilbert Rozon soutient que, dans trois cas, les présumées victimes étaient constantes et il a toujours nié les autres allégations qui le visaient.
Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne