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Le Canada compterait 14 «bombes carbone»

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29 octobre 2025
La Presse Canadienne, 2025
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Par La Presse Canadienne, 2025

MONTRÉAL — Le Canada compterait 14 «bombes carbone» sur son territoire, des projets d’extraction de combustible fossile qui sont planifiés ou qui ont récemment débuté, et qui généreraient des milliards de tonnes de gaz à effet de serre (GES).

Selon les organisations Lingo, Data for Good, Reclaim Finance et Eclaircies, il y aurait 601 «bombes carbone» sur la planète, dont 14 au Canada, principalement en Colombie-Britannique et en Alberta.

Une carte interactive de ces projets qui ont le potentiel, selon les quatre organisations, «d’enfermer l’humanité dans un dérèglement climatique irréversible» et qui «menacent les conditions de vie sur Terre» a été publiée lundi sur le site CarbonBombs.org.

L’expression «bombe carbone» a été définie dans une étude de la revue Energy Policy en 2022 et fait référence à un projet qui générera plus d’un milliard de tonnes de GES s’il est mené à terme.

Montney Play: la plus grosse «bombe»

Le projet pétrolier et gazier Montney Play remporte la palme de la plus grosse bombe carbone au pays. Montney est le nom d'une formation géologique à cheval entre l'Alberta et la Colombie-Britannique, qui est, selon la Régie de l’énergie du Canada, «l’une des plus importantes ressources gazières en Amérique du Nord». L'exploitation de ce territoire est récente et de nombreuses compagnies s'y intéressent.

Les organisations derrière le projet CarbonBombs.org estiment que l’exploitation et la combustion du gaz et du pétrole issus de Montney Play émettraient 12,9 gigatonnes de GES, ce qui en ferait l’une des bombes carbone les plus polluantes au monde.

Le projet de mine de charbon Murray River, en Colombie-Britannique, mis sur pause en raison notamment des droits de douane américains, rafle la deuxième position avec un potentiel de 8,48 gigatonnes de GES, alors que le projet de sables bitumineux Horizon, en Alberta, est identifié comme étant la troisième bombe carbone la plus polluante du pays avec un potentiel d’émettre 2,13 gigatonnes de GES.

Les projets pétroliers et gaziers Spirit River, Duvernay, Kearl, Christina Lake, Athabasca, Syncrude Milred Lake/Aurora, Liard Shale ainsi que les projets de mines de charbon Fording, Gething et Groundhog constituent les autres bombes carbone du Canada.

La fenêtre se rétrécit

Il faut à tout prix éviter d’entreprendre les projets d’extraction identifiés comme des bombes carbone, selon les organisations derrière le décompte. Et pour les projets qui sont déjà en cours, il faut éviter leur expansion. C’est également l’opinion de Natalya Gomez, professeure à l’Université McGill.

«Les scientifiques, les gouvernements, les entreprises d'énergies fossiles et la société, nous savons depuis des décennies que les GES issus des énergies fossiles sont responsables du changement climatique, alors nous avons aujourd'hui un pouvoir et une capacité immenses pour transformer le monde», indique celle qui enseigne au Département des sciences de la Terre et des planètes.

«Mais la fenêtre d'opportunité pour agir collectivement et éviter les pires conséquences du changement climatique se réduit comme peau de chagrin. Nos actions et nos décisions, aujourd'hui et dans les années à venir, auront des répercussions irréversibles sur l'humanité et l'habitabilité de notre planète pour les générations futures», ajoute la professeure Gomez.

Cenovus Energy, Suncor Energy, Canadian Natural Ressources et Paramount Ressources sont les principales entreprises impliquées dans les projets canadiens identifiés dans l'analyse.

La Presse Canadienne a tenté sans succès d’obtenir la réaction des dirigeants de ces géants pétroliers sur le décompte des bombes carbone.

Ce ne sont «pas des énergies de transition»

Paradoxalement, certains projets qui figurent dans le décompte sont présentés, par des politiciens ou par l’industrie, comme des initiatives énergétiques qui permettent de remplacer l'utilisation du charbon dans d’autres pays, et ainsi lutter contre les changements climatiques.

Par exemple, à propos du projet qui est qualifié de plus grosse bombe carbone, on peut lire ce qui suit sur le site du Canadian Energy Centre, qui relève du gouvernement albertain: «Une fois acheminé vers les terminaux construits sur la côte de la Colombie-Britannique, le gaz naturel de Montney pourrait contribuer à réduire les émissions mondiales et ainsi lutter contre les changements climatiques».

Mais le gaz naturel n’est pas une énergie de transition, souligne la professeure Natalya Gomez.

«Si l'on considère l'ensemble de la chaîne de production et d'approvisionnement du gaz fossile, les émissions de GES peuvent même être comparables à celles d'autres combustibles fossiles, comme le charbon et le pétrole.»

Il est «plus probable que les exportations de gaz freinent la transition énergétique», ajoute Keith Brooks, directeur des programmes d'Environmental Defence.

«Le Canada ne devrait pas permettre la réalisation de ces projets. Nous sommes l'un des plus importants émetteurs de gaz à effet de serre et, historiquement, l'un des plus grands responsables de la crise climatique. De plus, nous sommes un pays relativement riche. Nous avons la capacité d'abandonner la production d'énergies fossiles et il est de notre responsabilité de le faire», soutient Keith Brooks.

Canada: 51 nouveaux projets d’extraction

Pour respecter l’Accord de Paris sur le climat et stimuler rapidement les énergies propres et la croissance économique, le monde doit renoncer «maintenant» à tous nouveaux «projets de combustibles fossiles», avait écrit l’Agence internationale de l'énergie (AIE) dans un important et volumineux rapport publié en 2021.

Force est de constater que le rapport «Objectif zéro émission nette d'ici 2050: une feuille de route pour le secteur mondial de l'énergie» a eu peu d’impact sur les décisions de plusieurs pays signataires de l’Accord de Paris.

L’analyse publiée lundi par les organisations Lingo, Data for Good, Reclaim Finance et Eclaircies indique en effet que, depuis 2021, «1979 nouveaux grands gisements de pétrole et de gaz et 364 nouvelles grandes mines de charbon ont été approuvés», pour un «total de 2343 nouveaux projets d’extraction de combustibles fossiles».

Au Canada, il y aurait 51 nouveaux projets d’extraction de combustibles fossiles depuis 2021.

Le Canada a «une longue histoire de décalage entre ce que nous disons que nous allons faire en matière d'action climatique et ce que nous faisons réellement en matière d'expansion de la production des combustibles fossiles», souligne la professeure à l’École de l’environnement Bieler de l’Université McGill, Amy Janzwood.

À propos du décompte des 14 bombes carbone au pays, la professeure Janzwood est d’avis que, si «on considère le cycle de vie complet des émissions de ces projets, ils n'ont aucun sens d'un point de vue climatique».

Selon les auteurs du décompte publié lundi dernier, les rejets de CO2 des 601 bombes carbone ainsi que des nouveaux projets d’extraction depuis 2021 équivaudraient à 1400 gigatonnes de GES et seraient 11 fois supérieurs au «budget carbone» mondial qui reste pour contenir le réchauffement climatique sous 1,5 degré Celsius.

En d’autres mots, ces projets pourraient à eux seuls, et de loin, anéantir la possibilité de respecter l’Accord de Paris.

Stéphane Blais, La Presse Canadienne