Le commissaire aux langues officielles inquiet du bilinguisme de la fonction publique


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Par La Presse Canadienne, 2024
MONTRÉAL — Le commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge, demeure préoccupé face à la difficulté du gouvernement fédéral de se conformer aux exigences de la Loi en ce qui a trait au bilinguisme de son personnel.
Dans son rapport annuel rendu public mardi, le commissaire note que des progrès ont été réalisés à la suite de ses recommandations, mais que ce qu’il avait qualifié de problème systémique demeure bien réel.
Ainsi, il souligne que sur les cinq recommandations touchant l’ensemble des institutions visées, quatre n’ont été que partiellement mises en œuvre alors que la cinquième est demeurée lettre morte. «Les institutions fédérales ont eu deux ans pour donner suite à mes recommandations. Ainsi, je dois exhorter ces institutions à mettre en place des plans et des mécanismes plus formels pour appuyer la mise en œuvre intégrale de mes recommandations», écrit-il.
Des superviseurs unilingues
Raymond Théberge insiste particulièrement sur la question de la maîtrise de la langue seconde des superviseurs de la fonction publique. La publication de son rapport survient à trois jours de la date à compter de laquelle le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada doit aller de l’avant avec sa démarche qui consiste «à rehausser l’exigence minimale de compétence en langue seconde des postes bilingues de superviseurs qui encadrent du personnel œuvrant dans une région désignée bilingue aux fins de la langue de travail». Il rappelle que «tous les superviseurs des régions désignées bilingues – et non uniquement ceux qui y occupent des postes bilingues – doivent détenir les capacités nécessaires pour respecter le droit des employés (…) d’être supervisés dans la langue officielle de leur choix».
Raymond Théberge voit dans ces changements «un pas dans la bonne direction, mais le sort qui pourrait être réservé au personnel supervisé par des titulaires de postes unilingues ou par ceux qui ne répondent pas aux exigences linguistiques me préoccupe». Il s’inquiète du fait que cette responsabilité est remise entre les mains des institutions fédérales elles-mêmes. Il recommande donc au président du Conseil du Trésor «de mettre en place un mécanisme de surveillance auprès des institutions fédérales, qui devront s’assurer que des mesures sont établies et maintenues pour protéger les droits linguistiques des employés dans les régions désignées bilingues supervisés par les titulaires de postes unilingues et par ceux qui ne répondent pas aux exigences linguistiques.»
Il rappelle qu’en vertu de la modernisation de la Loi sur les langues officielles, «le droit de travailler dans la langue officielle de son choix s’appliquera, à compter de juin 2025, à tous les fonctionnaires dont le poste est situé dans une région bilingue aux fins de la langue de travail, sans égard à la désignation linguistique de leur poste».
Le commissaire reconnaît que «sa mise en œuvre ne sera pas sans embûche (…) Des mesures devront être prises pour assurer que les employés soient bien informés de leurs droits, et les superviseurs de leurs obligations.»
700 bureaux bilingues
Parallèlement, les amendements au Règlement sur les langues officielles ont mené à une révision de son application selon le recensement de 2021, afin de confirmer quels bureaux devront offrir leurs services dans les deux langues officielles. Le commissaire souligne que le Secrétariat du Conseil du Trésor prévoit qu’environ 700 bureaux seront désignés pour offrir le service bilingue. «Toutefois, écrit-il, la mise en œuvre de ces nouveaux bureaux pourrait se révéler difficile. Selon mes antennes dans les régions, les gestionnaires (…) soulignent qu’ils s’attendent à des difficultés de recrutement de personnel bilingue et que les budgets de formation linguistique ne permettent pas d’augmenter rapidement leur capacité bilingue.»
Au même moment, il constate que des réductions budgétaires affectent la fonction publique fédérale depuis quelques mois. «Malheureusement, l’expérience nous démontre que, dans un tel contexte, ce sont trop souvent les obligations en matière de langues officielles que l’on considère comme superflues dans les institutions fédérales, et qui finissent par faire l’objet de coupes budgétaires.» Il recommande donc à tous les administrateurs fédéraux «de s’assurer que leur organisation respecte et tienne compte des obligations et des droits linguistiques lors des exercices de réductions budgétaires dans la fonction publique fédérale» d’ici le 30 mai 2027.
Conseil privé: manque d'imputabilité
Raymond Théberge ne manque pas, au passage, de réprimander le Bureau du Conseil privé – qui est en quelque sorte le ministère du premier ministre – après avoir enquêté sur la Commission sur l’état d’urgence, chargée d’évaluer le bien-fondé de déclarer l’état d’urgence pour mettre un terme à l’occupation d’Ottawa par des camionneurs et autres manifestants.
Il a constaté «que la Commission n’a pas respecté ses obligations linguistiques» en raison de retards dans la publication des transcriptions en français des témoignages en anglais, de l’absence de traduction en anglais des témoignages en français et de traduction en français des preuves documentaires produites en anglais par les institutions fédérales.
Il pointe toutefois du doigt le Bureau du Conseil privé qui a, selon lui, «un rôle à jouer afin que les commissions qui relèvent de lui soient enjointes à faire respecter, durant leur existence, les règles du jeu en matière linguistique, entre autres.»
«Toute commission dont le mandat est national doit respecter des obligations linguistiques quand elle communique avec le public canadien (…) Il est impératif que le Bureau du Conseil privé soit considéré comme imputable de ces institutions temporaires et qu’il mette en œuvre des changements majeurs afin que cesse ce genre de situation déplorable.»
Il recommande donc au greffier du Conseil privé d’assumer son imputabilité en s’assurant d’expliquer aux présidents et responsables des commissions d’enquête «l’ensemble des informations liées à leurs obligations linguistiques, notamment celle de servir le public dans les deux langues officielles», de cibler avec ceux-ci leurs besoins exacts «afin qu’elles soient bien en mesure de répondre à leurs obligations linguistiques» et de fournir aux commissions d’enquête les ressources requises pour pouvoir fonctionner dans les deux langues officielles.
Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne