Le premier budget Carney sera marqué par la guerre tarifaire, selon des experts


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Par La Presse Canadienne, 2025
OTTAWA — Des experts affirment qu'Ottawa devra faire preuve de transparence envers les Canadiens dans son prochain budget afin de justifier un changement radical dans les dépenses, qui passeront des programmes gouvernementaux à la défense et aux infrastructures.
Le gouvernement libéral présentera le budget annuel cet automne, possiblement dès le mois d'octobre, après avoir renoncé au traditionnel budget du printemps.
Le gouvernement du premier ministre Mark Carney a annoncé une série de mesures de dépenses lors de la session parlementaire écourtée du printemps, notamment une réduction d'un point de pourcentage de l'impôt sur le revenu.
Il a aussi dévoilé des plans visant à augmenter les investissements militaires afin de respecter les engagements pris par les membres de l'OTAN.
Son gouvernement a fait adopter son projet de loi C-5, destiné à accélérer l'approbation de grands projets, afin de répondre à la détérioration des relations entre le Canada et les États-Unis.
Selon le vice-président de l'Institut des finances publiques et de la démocratie de l'Université d'Ottawa, Sahir Khan, le budget donnera aux Canadiens un premier aperçu de la façon dont la guerre commerciale a affecté les perspectives économiques du gouvernement fédéral.
À son avis, il s'agira de l'occasion pour M. Carney d'expliquer aux Canadiens que la réorientation de l'économie canadienne loin des États-Unis aura un coût.
Renforcer les chaînes d'approvisionnement, se diversifier sur les marchés internationaux et développer des ressources pour bâtir une économie capable de fonctionner indépendamment des États-Unis n'est pas une mince tâche, souligne M. Khan.
«La souveraineté a un coût. En fin de compte, le premier ministre devra expliquer […] le coût de l'indépendance d'un pays dans ce contexte. Et cela a un prix.»
Déficit plus important?
De nombreux observateurs s'attendent à ce que le budget révèle que le déficit fédéral a explosé pour l'exercice financier actuel depuis la dernière mise à jour d'Ottawa, à la fin de 2024. Le déficit pour 2025-2026 était alors projeté à 42,2 milliards $.
Lors de la campagne électorale du printemps, les libéraux ont promis des investissements supplémentaires qui creuseraient le déficit de cette année à environ 62 milliards $.
La plateforme libérale projetait que les droits de douane de rétorsion imposés par Ottawa sur des produits américains généreraient des revenus de 20 milliards $. Or, ces droits de douane ont majoritairement été retirés, sauf dans quelques secteurs clés.
Randall Bartlett, économiste en chef adjoint au Mouvement Desjardins, s'attend à ce que les recettes provenant des droits de douane soient nettement inférieures à ce que prévoyaient les libéraux dans leur plateforme électorale.
Cette baisse, combinée à la réduction de l'impôt sur le revenu des particuliers qui entrera en vigueur le 1er juillet et au recul du taux d'inclusion des gains en capital, fera baisser les recettes fiscales d'Ottawa.
«Le déficit pourrait dépasser les 70 milliards $ au cours de l'exercice actuel, soit un montant nettement supérieur à celui prévu en décembre dernier», prévient M. Bartlett.
Le vice-président et directeur de la recherche à l'Institut C.D. Howe, Alexandre Laurin, pense pour sa part que le déficit fédéral demeurera supérieur à 60 milliards $ au cours des prochaines années, notamment en raison des dépenses dans les infrastructures et la défense.
«Je pense que le message sera le suivant: "Oui, nous avons des déficits très importants, mais ces déficits sont le résultat d'investissements productifs"», mentionne-t-il.
M. Carney a lui-même reconnu que le prochain budget sera marqué par l'austérité, mais aussi par des investissements visant à renforcer l'économie.
Dépenser moins, investir plus
Le ministre des Finances, François-Philippe Champagne, a fait savoir la semaine dernière que le projet du gouvernement de réduire les dépenses de programme de la plupart des ministères de 15 % sur trois ans pourrait s'accompagner d'«ajustements» de la taille de la fonction publique.
Une analyse de l'Institut C.D. Howe réalisée à la mi-août a fait valoir que l'examen des dépenses du gouvernement n'irait pas assez loin.
Le groupe de réflexion a prévu des économies de 22 milliards $ d'ici 2028-2029, soit moins de la moitié de la somme qu'il estime nécessaire pour mettre les finances fédérales sur une «voie équitable et prudente».
M. Carney souhaite adopter une approche consistant à «dépenser moins» et «investir plus». Il compte diviser le budget du gouvernement en dépenses d'investissement et dépenses de fonctionnement, et équilibrer ces dernières en trois ans.
Selon M. Laurin, il n'existe pas de principes comptables officiels pour cette séparation, de sorte qu'il s'inquiète de la manière dont le gouvernement va définir ces silos de dépenses.
Ce qui est considéré comme un investissement productif pourrait en fin de compte être «arbitraire», souligne-t-il. «C'est trop flou.»
Revoir les plans
Les experts interrogés par La Presse Canadienne ne s'attendent pas à ce que les changements comptables apportés au budget effraient les agences de notation.
Ces dernières se tourneront plutôt vers les comptes publics pour trouver des signes indiquant que le gouvernement fédéral est sur la voie de la viabilité financière.
«Les budgets sont des documents politiques. Ce ne sont pas des états financiers vérifiés», rappelle M. Bartlett.
Tout comme M. Laurin, M. Bartlett aimerait voir le gouvernement reporter certaines des mesures mineures incluses dans le programme électoral du Parti libéral jusqu'à ce qu'il ait été démontré qu'Ottawa se trouve dans une position viable sur le plan financier.
Ce budget sera le premier de M. Carney et le premier de François-Philippe Champagne en tant que ministre des Finances.
M. Bartlett s'attend à un «certain degré de rigueur» dans le premier budget du gouvernement Carney, compte tenu de l'expérience du premier ministre dans le monde des finances.
«Je pense que les Canadiens et les parlementaires méritent toute la transparence que le gouvernement est en mesure de leur offrir», conclut-il.
Craig Lord, La Presse Canadienne