Le rachat de RCV par StormFisher pour une bouchée de pain empêchera une perte totale

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Par La Presse Canadienne, 2025
VARENNES, QUÉBEC — Contrairement aux gouvernements fédéral et provincial, les contribuables québécois pourraient trouver leur compte, du moins en partie, dans la faillite de Recyclage Carbone Varennes (RCV), rachetée pour la somme dérisoire de 17,5 millions $ par le repreneur StormFisher.
Québec était actionnaire à 24 % de RCV, des actions dont la valeur s’élevait à 117 millions $ au moment de l’investissement. Cette somme représente une perte sèche. Le reste des 365 millions $ engagés par Québec en prêts et subventions, soit 248 millions $, et les engagements de 187 millions $ en subventions d’Ottawa, déjà engagés dans la construction du complexe de Varennes, en Montérégie, ne sont toutefois pas complètement perdus puisque StormFisher reprendra les travaux de construction pour compléter l’installation. Les prêts, évidemment, ne seront pas remboursés.
Toujours en matière de fonds publics, la Banque de l’infrastructure du Canada (BIC) s’était engagée à prêter 277 millions $ à RCV, dont 210 millions $ avaient déjà été engagés. En entrevue avec La Presse Canadienne, le vice-président aux finances de StormFisher, Ashkan Shoja-Nia, précise qu’«il y a encore un peu du prêt de la BIC qui reste avec le projet, mais ce n'est pas la somme totale». Il n’a pas précisé combien, invoquant les ententes de confidentialité, mais on peut présumer que la portion du prêt qu’assume l’entreprise canado-américaine ne représente qu’une fraction du total, le reste étant déjà comptabilisé comme une perte par la BIC.
Une aubaine plutôt qu'une perte totale
Le complexe de Varennes, une installation qui devait coûter 1,5 milliard $ originalement destinée à la fabrication biométhanol à partir de la gazéification de la biomasse, était complété à 75 % pour la portion usine de biocarburant et la deuxième composante, l’électrolyseur à hydrogène, était complétée à 45 %.
StormFisher, qui entend plutôt fabriquer de l’«e-méthanol» synthétique, à partir d’hydrogène vert et de CO2, poursuivra donc la construction. «La plupart des étapes du processus qu'on veut utiliser étaient déjà prévues dans l'ancien développement et les investissements réalisés jusqu’ici», a expliqué M. Shoja-Nia. L’entreprise prévoit capter et valoriser annuellement 100 000 tonnes de CO2 qui iraient autrement dans l’atmosphère et est à finaliser des ententes avec un éventuel fournisseur. On vise principalement les marchés dans les secteurs du transport maritime, de l’aviation et de la chimie.
Il reste «environ 600 millions $» à investir, dit-il, pour compléter le projet, dont la valeur se situera en bout de ligne quelque part entre 900 millions $ et 1 milliard $, selon lui. En d’autres termes, StormFisher a acquis pour 17,5 millions $ des actifs déjà construits dont la valeur dans leur état actuel se situe entre 300 et 400 millions $.
C’est dans cette dernière somme que se situe l’argent des contribuables qui pourra être mis à contribution plutôt que d’être complètement perdu, ce qui aurait été le cas si la Cour supérieure avait cédé aux demandes des créanciers de liquider les actifs de RCV. Aussi, StormFisher, qui prévoit une mise en opération vers la fin de 2028, créera une cinquantaine d’emplois hautement qualifiés et une vingtaine d’emplois indirects qui n’auraient jamais vu le jour en cas de liquidation des actifs.
L'argent public est déjà là
StormFisher hérite aussi de l’important bloc d’électricité de 110 MW promis à RCV qui lui a été transféré par la Cour en marge de la faillite. Hydro-Québec confirme par ailleurs que les travaux et la mise en service de la ligne de transport de 230 kV de 3,5 km, comprenant 20 pylônes pour relier le complexe à son réseau, ont été complétés le 6 octobre dernier, mais précise que c’est le client qui assume la facture, dont la société d’État a refusé de préciser le montant.
StormFisher assure qu’elle ne demandera pas de fonds publics, demande qui risquerait d’être assez mal reçue après les déboires de RCV. Ashkan Sooja-Nia reconnaît cependant que le fait d’avoir acquis les actifs de RCV pour une bouchée de pain représente en soi une forme d’aide publique. «Il y a des fonds publics là-dedans, il y a des fonds privés aussi. C'est vraiment important que l'on valorise tout ce que l'on peut. C'est sûr et certain que le fait qu'autant d'infrastructures soient déjà en place nous aide à être compétitifs dans le marché mondial et ici au Québec.»
Le défi du coût
Or, comme l’explique le directeur scientifique de l’Institut de l’énergie Trottier, à Polytechnique, Normand Mousseau, être compétitif ne sera pas une mince affaire. «Faire de l'hydrogène à partir de l’électricité, c’est cher, ce n'est pas très efficace. En plus, le combiner avec du CO2 pour faire du méthanol implique des coûts énergétiques supplémentaires. Donc, ce sont des solutions qui sont très coûteuses et la question c’est: qui va payer pour ça? Quel est le modèle d'affaires?»
«Quand je parle aux industriels, ils disent tous: nous, on aimerait bien ça avoir un truc synthétique à zéro émission, mais il n'est pas question qu'on le paye, parce qu'on ne sera pas compétitifs.»
Jean-Michel Lavoie, professeur au département de génie chimique et biotechnologique de l'Université de Sherbrooke, note tout de même que le repreneur «a vu une belle opportunité parce que, s’ils ont un bon contrat d'approvisionnement en électricité, logiquement, ils peuvent produire de l'hydrogène vert à un prix qui est relativement intéressant. Ça reste cher, mais ça reste relativement intéressant», avance-t-il.
Lui et ses collaborateurs ont des contacts avec l’industrie maritime qui, dit-il, cherche depuis de nombreuses années une propulsion plus verte. «Oui, ça va coûter plus cher, mais c'est le prix à payer pour faire une transition vers une empreinte de carbone qui va être significativement plus basse que d'utiliser tout simplement du diesel.»
Il rejoint toutefois son collègue Normand Mousseau quand il est question de l’ampleur de la différence de prix. «II y a quand même des compagnies qui sont prêtes à payer une prime pour du méthanol vert. J'en ai rencontré qui seraient intéressées à payer une prime – pas 400 % - mais si c'est un pourcentage raisonnable, je pense qu'il y aurait probablement des gens qui seraient très intéressés à verdir leur alimentation avec le méthanol et à payer un petit peu plus pour l'avoir.»
Trois à quatre fois plus cher
Pourtant, Ashkan Shoja-Nia ne s’en cache pas: le méthane synthétique de StormFisher «sera trois fois, quatre fois, le prix du méthane traditionnel, ça c'est sûr». Il s’empresse toutefois d’ajouter que «les réglementations poussent vers la décarbonisation, dans le secteur maritime par exemple, et s'ils ne décarbonent pas, ils vont avoir des frais à payer». Est-ce que ces pénalités pourraient être élevées au point où cette surcharge pourrait devenir acceptable? «La réponse qu'on voit venir, c'est oui», affirme-t-il, car les pénalités sont appelées à croître de façon exponentielle.
Le pari est risqué, mais il faut aussi comprendre que StormFisher prévoit produire 72 000 tonnes de méthanol par année. «72 000 tonnes de méthanol, c’est marginal, souligne Normand Mousseau. Juste pour donner une idée de l’échelle de grandeur, on consomme 165 000 barils de pétrole par jour au Québec, soit à peu près 20 000 à 25 000 tonnes par jour.»
Il s’agit d’un choix délibéré, rétorque Ashkan Shoja-Nia. «On ne voulait pas être trop gros. C'est une bonne taille où ce n'est pas vraiment difficile de vendre tout le produit, mais ce n'est pas trop petit non plus. C’est entre les deux et ça aide à réduire le risque.»
Rentabilité à très long terme
Quand on lui demande quand il s’attend à ce que le complexe de Varennes devienne rentable, il hésite longuement avant de répondre: «c'est difficile à dire, mais quand on calcule le financement de cette usine, c’est sur une période d'une vingtaine d'années ou plus».
Jean-Michel Lavoie fait valoir qu’il y a un immense marché pour le méthanol, qui est présentement produit à prix modique à partir d’une énergie fossile. En produire de façon synthétique en valorisant un gaz à effet de serre comme le CO2 finira bien par en réduire le prix, comme toute nouvelle technologie. «À un moment donné, quand il va commencer à manquer de pétrole et que les prix vont augmenter, on va se dire: pourquoi on n'a pas fait des démarches quand c'était le temps? Pourquoi on n'a pas mis en place une nouvelle façon alternative d'être indépendant de tout ça?»
C'est pour éviter d'en arriver là que des initiatives comme celle de StormFisher valent le risque.
Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne