Les entraîneurs et les arbitres LGBTQ+ craignent de se dévoiler en raison du climat


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Par La Presse Canadienne, 2024
MONTRÉAL — L'homophobie et la transphobie subsistent dans les milieux sportifs, et pas seulement pour les joueurs. Les arbitres et les entraîneurs issus de la communauté LGBTQ+ vivent aussi des expériences difficiles qui les empêchent d'affirmer leur orientation sexuelle ou identité de genre.
Anne-Marie Rouillier, chercheuse au sein du Laboratoire de recherche pour la progression des femmes+ dans les sports au Québec (Lab PROFEMS) de l'Université Laval, s'est penchée sur ces enjeux.
Lors du congrès de l'Acfas un peu plus tôt ce mois-ci, elle a présenté les résultats qu'elle a obtenus après avoir sondé des entraîneurs et des arbitres de la diversité sexuelle et de genre à l'échelle du pays. Pour un échantillon aussi pointu, Mme Rouiller s'est dite satisfaite d'avoir pu mener 20 entrevues semi-dirigées et avoir récolté 77 questionnaires qui répondaient à ses critères de sélection. Les participants provenaient de différents sports et niveaux sportifs, certains étant des professionnels qui gagnent leur vie ainsi et d'autres de niveau récréatif qui supervisent des jeunes.
L'inconfort face à l'identité de genre ou l'orientation sexuelle ne semble pas provenir des jeunes, mais plutôt des parents. «C'est quelque chose qui ressort assez fortement. Pour ceux qui travaillent en particulier avec des mineurs, le stress ne vient pas du fait de parler aux jeunes qui sont, selon ce que j'entends, assez ouverts et ouvertes d'esprit. Pour eux, ce n'est pas nécessairement un enjeu, voire peut-être complètement banal, en fait», explique Mme Rouillier.
Le fruit de sa recherche a pu confirmer que le parcours des entraîneurs et des arbitres LGBTQ+ est semé de défis. Certains témoignages étaient déconcertants, comme une femme trans qui se serait fait demander d'envoyer des photos d'elle au retour d'un congé après avoir procédé à une transition. Ces collègues craignaient qu'elle ressemble à RuPaul, une populaire drag queen américaine. D'autres témoignages faisaient état de violence verbale et d'intimidation.
«On entend évidemment beaucoup d'histoires qui se rendent jusqu'à nos oreilles, d'homophobie et transphobie chez les sportifs et les sportives. Donc, de l'entendre pour des gens qui sont un peu plus en situation de leadership, malheureusement, ça ne nous a pas tant surpris que ça, a commenté Mme Rouillier. C'est encore un milieu qui est très conservateur, disons ancré dans des valeurs plus binaires. Sur le plan de la diversité sexuelle et de genre, on tombe dans des domaines où les gens peuvent avoir peur de ce que ça crée sur leur réputation ou d'être moins bien accueillis par certaines personnes.»
La chercheuse insiste sur le fait que les enjeux des personnes issues de la diversité sexuelle sont très différents que ceux vécus par les personnes trans ou non binaires puisque l'orientation sexuelle n'est pas nécessairement visible.
Des défis semblables pour les femmes cis
Les sports d'équipe à prédominance masculine, où on a une idée de l'homme plus en puissance, vont être encore plus problématiques pour ceux qui ne correspondent pas du tout à ces stéréotypes, explique Anne-Marie Rouillier. Elle nuance que certains dévoilements (coming out) vont très bien se dérouler dans ce genre d'équipes sportives. «Il n'y a pas que des récifs difficiles, il y a plein de récits où finalement ça se passe super bien et le reste de l'équipe s'adapte et on avance avec ça et ce n'est pas un drame, souligne l'experte.
«Mais il reste que les peurs sont un peu plus présentes à ce niveau-là, puis les coachs, les arbitres vont peut-être se garder une réserve, en particulier les coachs qui sont en position de leadership, ajoute Mme Rouillier. L'arbitre c'est plus facile pour lui ou elle de demeurer discret sur sa vie personnelle. L'interaction avec les équipes est moins là, c'est un peu différent. Les arbitres, c'est plutôt quand physiquement on dégage quelque chose qui peut être plus fluide au niveau du genre que les gens vont parfois accrocher.»
Par ailleurs, les données montrent que les enjeux des femmes cis hétérosexuelles sont similaires à ceux des personnes LGBTQ+. Plusieurs femmes ont témoigné avoir vécu des violences verbales, des gens qui les insultaient ou les intimidaient et elles constataient que les motifs de haine n'étaient pas liés à leur orientation sexuelle ou identité de genre, mais parce qu'elles sont des femmes.
«Pour certaines personnes, ça rajoute une couche de défis, indique Mme Rouillier. C'est ce qu'on me mentionnait. ''Je suis une femme, mais en plus, si on se rend compte que je suis lesbienne, ça cause encore plus de défis''.» Parmi les commentaires désobligeants rapportés par les participantes de l'enquête, on note «retourne à tes chaudrons» ou encore «cette personne-là ne peut pas être compétente pour prendre des décisions d'arbitrage pertinentes». Certaines se sont aussi fait lancer des objets sur le terrain.
Certains arbitres et entraîneurs ont décidé de jeter la serviette et de quitter le monde du sport, bien que ce ne soit pas quelque chose qui soit revenu souvent dans les témoignages. «Des gens ont décidé de juste prendre leur retraite par rapport à ça parce que c'était trop difficile à gérer. [...] D'autres sont partis pendant un temps. Par exemple, des gens qui ont fait une transition de genre sont partis dans un temps où ils jugeaient qu'ils étaient trop dans un entre-deux où eux-mêmes n'étaient pas confortables encore et ont attendu de revenir un petit peu plus tard dans leur processus de transition», décrit Mme Rouillier.
Plus de modèles pour aider l'acceptation
Pour améliorer la culture de l'inclusion dans les milieux sportifs, Anne-Marie Rouillier a identifié plusieurs aspects sur lesquels travailler, comme de soutenir l'accès à des espaces sécuritaires. «On a parlé des vestiaires notamment pour les arbitres qui se retrouvent souvent à se changer dans des petites zones qui étaient pensées pour les hommes à la base. Mais là, il y a des arbitres qui sont des femmes, qui sont des personnes trans, des personnes non-binaires, donc ça peut être un défi pour certaines personnes et ça peut être inconfortable», fait valoir la chercheuse.
Encourager la visibilité de modèles positifs d'arbitres et d'entraîneurs LGBTQ+ favoriserait aussi plus d'inclusion dans le sport. Toutefois, Mme Rouiller souligne que l'objectif n'est pas de forcer les gens à se dévoiler s'ils ne sont pas prêts. «Ce n'est pas du tout l'intention, mais quand une personne se sent à l'aise avec ça, si elle a le goût de prendre cette place-là de leadership positif, ça semble avoir des effets favorables chez les autres coachs et arbitres, mais aussi chez les jeunes ou moins jeunes sportifs et sportives», mentionne Mme Rouillier.
Elle donne l'exemple des joueuses de hockey professionnelles canadiennes Marie-Philip Poulin et sa conjointe Laura Stacey qui ont un «effet extrêmement positif chez les jeunes qui voient qu'elles peuvent devenir qui elles veulent être».
Certains efforts commencent à voir le jour au Québec. En 2024, le gouvernement provincial a créé le Protecteur de l’intégrité en loisir et en sport (PILS), qui est un ombudsman qui peut intervenir à la suite d'une plainte et agir de sa propre initiative. Il a pour mission de veiller à l’intégrité physique et psychologique des personnes dans le cadre de la pratique d’un loisir ou d’un sport partout au Québec.
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Katrine Desautels, La Presse Canadienne