Manque de preuves sur le traitement involontaire des dépendances, dit Marjorie Michel


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Par La Presse Canadienne, 2024
OTTAWA — La ministre fédérale de la Santé, Marjorie Michel, affirme qu'il n'existe aucune preuve de l'efficacité du traitement forcé des dépendances, mais elle refuse de se prononcer sur la question de savoir si les provinces devraient envisager un traitement involontaire.
«Je vous dirai que je pense que chaque Canadien a le droit de se faire soigner», a-t-elle déclaré.
«Je ne vous dirai pas que les forcer à se faire soigner est une solution au problème. Je ne pense pas que, pour l'instant, nous disposions de preuves scientifiques sur cette pratique.»
L'Alberta a adopté une loi d'envergure permettant aux membres de la famille, aux professionnels de la santé ou aux policiers de demander qu'une personne suive un traitement pour la dépendance.
En vertu de cette loi, les personnes consommant des substances considérées comme présentant un risque pour elles-mêmes ou pour autrui pourraient être placées de force dans un établissement de traitement sécurisé pour une période maximale de trois mois.
En Colombie-Britannique, où la crise des opioïdes a été particulièrement meurtrière, le gouvernement provincial a récemment ouvert un établissement de dix unités dans un centre de détention provisoire pour traiter les personnes incarcérées souffrant à la fois de lésions cérébrales graves et de problèmes de dépendance. Le gouvernement souhaite également ajouter d'autres établissements dans les prisons de la province.
Les responsables de la Colombie-Britannique ont dit qu'ils s'efforçaient d'aider les personnes incapables de demander de l'aide et d'éviter qu'elles soient placées en isolement en attendant qu'une place se libère.
L'Ontario a annoncé le mois dernier son intention d'étudier la manière d'introduire le traitement involontaire dans le système correctionnel et entend consulter des personnes ayant une expérience vécue et des experts. Le gouvernement de l'Ontario a indiqué qu'il envisageait la Colombie-Britannique comme modèle potentiel.
Les changements proposés se sont heurtés à l'opposition de défenseurs des droits des patients, qui estiment que les gouvernements devraient plutôt se concentrer sur l'élargissement de l'accès au traitement volontaire.
Mme Michel a précisé qu'elle ne commenterait pas les plans des provinces pour l'instant.
«Je vais m'asseoir et voir les résultats, car je pense que nous devons travailler en étroite collaboration, mais nous avons surtout besoin de preuves scientifiques», a-t-elle déclaré, lors d'une entrevue à l'extérieur de la Chambre des communes.
Le traitement involontaire «à haut risque»
Une étude de 2023 publiée dans le Journal canadien d'addiction a révélé qu'il y avait «un manque de preuves de qualité pour appuyer ou réfuter le traitement involontaire» pour les troubles liés à la consommation de substances. L'étude a conclu que des recherches supplémentaires sont nécessaires.
L'Association canadienne pour la santé mentale en Colombie-Britannique a indiqué que les données probantes existantes montrent que forcer les gens à suivre un traitement augmente le risque de décès par intoxication de drogue après leur sortie.
Kora Debeck, professeure en toxicomanie et politiques en matière de drogues à l'école de politiques publiques de l'Université Simon Fraser, a expliqué que c'est l'une des raisons pour lesquelles le traitement involontaire est considéré comme à haut risque.
«Je pense qu'il existe une véritable pensée magique concernant le traitement de la toxicomanie et cette idée selon laquelle si nous pouvons simplement amener les gens à suivre un traitement, la souffrance disparaîtra et les gens iront mieux», a-t-elle expliqué.
Mme Debeck a fait valoir que la toxicomanie est une «maladie chronique à rechutes» et que les personnes ont besoin de soutien pour se rétablir.
«Je suis vraiment déçue que tant de gouvernements semblent s'éloigner d'une approche axée sur la santé publique en matière de toxicomanie et de politiques en matière de drogues», a-t-elle déclaré, affirmant que les politiques de réduction des méfaits n'ont pas échoué.
Elle a ajouté que les effets combinés de la crise des opioïdes et de la crise du logement ont créé une situation terrible qui pousse les gens à demander à leurs gouvernements d'agir différemment. Plus de 50 000 personnes sont décédées d'une intoxication aux opioïdes au Canada entre 2016 et 2024.
«L'approvisionnement en drogues est tellement toxique, tellement contaminé… et ce que nous constatons de manière très viscérale dans la rue est un niveau de souffrance inédit», a soulevé Mme Debeck.
Michel promet de faire de la santé mentale une priorité
Dans un communiqué, la présidente-directrice générale du Centre de toxicomanie et de santé mentale a déclaré qu'avant d'introduire des politiques de traitement involontaire, les gouvernements devraient procéder à un examen complet du système volontaire.
«De nombreuses personnes souhaitent obtenir de l'aide, mais n'ont pas accès à des soins volontaires rapides et de qualité», a affirmé Sarah Downey.
Le communiqué indiquait également que les lacunes de longue date dans les soins en santé mentale et en toxicomanie devaient être comblées et appelait le gouvernement fédéral à un «leadership audacieux et collaboratif».
Dans leur plateforme électorale fédérale, les libéraux ont promis d'ajouter 500 millions $ au Fonds de traitement d'urgence pour lutter contre la crise des surdoses et d'«investir dans des logements très abordables, des logements supervisés et des refuges» afin d'améliorer les soins de santé.
Mme Michel a été élue le 28 avril dans la circonscription de Papineau, représentée par l'ancien premier ministre Justin Trudeau pendant 17 ans. Il s'agit de la première fois qu'elle est ministre.
Elle connaît toutefois bien la colline du Parlement. Elle était cheffe de cabinet adjointe de M. Trudeau depuis 2021 et, auparavant, cheffe de cabinet de deux ministres.
Elle a dit comprendre les critiques concernant la décision du premier ministre Mark Carney de ne pas nommer de ministre de la Santé mentale et des Dépendances, un poste qui existait déjà au sein du gouvernement Trudeau.
«Mais vous avez une ministre de la Santé mentale, car je peux vous dire que je suis à la fois ministre de la Santé et ministre de la Santé mentale», a-t-elle déclaré, ajoutant que la santé mentale sera l'une de ses «principales priorités».
Elle a souligné que M. Carney avait exprimé son désir d'accroître la productivité du Canada et affirmé que l'amélioration des soins de santé mentale faisait partie de la solution.
«Si vous ne prenez pas soin de la santé et de la santé mentale, vous n'y parviendrez pas, car les gens tomberont malades», a-t-elle soutenu.
Sarah Ritchie, La Presse Canadienne