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Marc Miller veut une «injection de discipline» dans le système d'immigration canadien

durée 15h26
21 juin 2024
The Canadian Press, 2024
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Temps de lecture   :  

5 minutes

Par The Canadian Press, 2024

OTTAWA — Le ministre fédéral de l’Immigration, Marc Miller, veut une «injection de discipline dans le système». Face à l’afflux de personnes arrivées sur une base temporaire dans un contexte de crise du logement, il croit qu’«il y a lieu de réfléchir à la façon» d’offrir à plusieurs de celles-ci ayant déjà un toit au Canada une partie des 485 000 ou 500 000 nouvelles résidences permanentes qui devraient être octroyées par année.

«Est-ce qu'il y aurait lieu de transformer ces gens-là en résidents permanents sous les rubriques ou les seuils qu'on a déjà établis? Quand on fait ça, ça veut dire qu'il y a quelqu'un qui ne vient pas de l'extérieur et augmenter le volume», a-t-il dit au cours d’une entrevue accordée cette semaine dans son bureau de la colline du Parlement.

Le ministre n’a pas précisé si cette avenue était sérieusement envisagée ni fourni plus de détails sur l’ampleur que pourrait prendre pareille initiative. Il a mentionné qu'il s'agirait de «gens qui ont trois ou quatre ans d'intégration, sont au Canada (et) ont du logement», donnant en exemple des étudiants internationaux.

Les niveaux pancanadiens annuels de nouveaux résidents permanents – 485 000 en 2024 et 500 000 en 2025 ainsi qu’en 2026 – incluent des cibles chiffrées de dossiers à être approuvés par Ottawa dans des programmes économiques et de regroupement familial, par exemple, mais pas pour les volets d’une immigration dite «temporaire» et marquée, selon Statistique Canada, par une croissance fulgurante depuis 2022.

Parmi les nouveaux arrivants non permanents exclus des cibles actuelles, on compte les étudiants internationaux et les travailleurs étrangers qui peuvent vouloir, à plus long terme, élire domicile au Canada. On y retrouve aussi tous les demandeurs d’asile se trouvant déjà au pays qui attendent, face à de longs délais, une décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR) sur leur requête ou la conclusion de leur appel après avoir essuyé un refus.

En tout et pour tout, Statistique Canada évalue qu’il y a 2 793 594 résidents non permanents partout au pays au deuxième trimestre de 2024. Au Québec seulement, l’agence estime qu’il y en a 597 140, mais la CISR, qui s’en remet à une définition moins large et une méthodologie différente, en dénombre plutôt 388 959, a précisé l’équipe de M. Miller.

Combler un «trou dans la discussion»

Peu importe la «guerre de chiffres» évoquée par le ministre au cours de l’entretien avec La Presse Canadienne, le gouvernement de Justin Trudeau s’est engagé à intégrer la réalité de l’immigration temporaire dans la planification de ses niveaux sur trois ans annoncés chaque automne.

En plus de promettre de tenir compte de cet afflux, le ministère sous la houlette de M. Miller a indiqué dès la fin octobre qu’il cherche à considérer la «planification du logement et de la santé, et d’autres services importants».

Questionné sur ces orientations, le ministre a noté que «les économistes, entre autres, regardent ces chiffres, puis voient l'impact que le volume peut apporter sur cette notion d'abordabilité – puis dans la discussion du logement, le coût du logement».

L’élu montréalais a offert peu de détails sur les façons de mener le changement d'approche promis, outre de combler «le trou dans la discussion» ou dresser un «portrait plus complet». Il a tout de même donné des indices de ce qu’il qualifie d’«injection de discipline».

«Il y a lieu de regarder ce en quoi consistent les enveloppes qui font en sorte que, quand on additionne le tout, ça arrive à 485 000 ou 500 000», a-t-il soutenu avant d’évoquer des efforts pour «s'assurer qu'on attire des gens ici dans les métiers qui sont ciblés, qui sont en pénurie». Il a mentionné au passage les milieux de la construction et de la santé.

C’est ensuite qu’il a avancé l’idée d’accorder, à l’intérieur même des seuils déjà définis, la résidence permanente à de nouveaux arrivants officiellement «temporaires», mais déjà logés et intégrés.

«Début d'exercice intellectuel»

M. Miller n’a pas manqué de rappeler qu’Ottawa a signalé en mars qu’il prévoit réduire le nombre de résidents temporaires à 5 % de la population au cours des trois prochaines années, contre 6,2 % au moment de l'annonce.

Le fédéral a aussi fait savoir que les entreprises autorisées à faire participer jusqu’à 30 % de leur main-d’œuvre au Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) verront cette proportion baisser à 20 %, sauf pour les deux mêmes secteurs auxquels a fait référence M. Miller, soit la santé et la construction.

«Donc il y a un début d'exercice intellectuel qui s'est fait de notre bord. On n'a pas nécessairement vu ce que Québec présente. Ils ont dit toutes sortes de choses», a poursuivi le ministre.

Le premier ministre québécois, François Legault, martèle depuis la semaine dernière que son gouvernement exige, sur le territoire du Québec, une baisse de 50 % du nombre de demandeurs d’asile et de travailleurs étrangers temporaires en provenance du Programme de mobilité internationale, deux catégories qui sont dans le giron d'Ottawa.

Son homologue fédéral, Justin Trudeau, et M. Miller répondent depuis qu’ils doivent d’abord recevoir un plan de Québec.

L’immigration est une compétence partagée entre le gouvernement fédéral et celui du Québec et, en ce qui a trait à l’immigration temporaire, la province a ses propres leviers du PTET sur son territoire et de l’admission d’étudiants étrangers.

M. Legault n’a pas exclu d’effectuer une certaine réduction qui est sous le contrôle de Québec, mais il est d'avis que seul Ottawa peut faire une réelle différence. «Sa job, c'est de réduire de moitié le nombre d'immigrants temporaires», a dit le premier ministre au sujet de M. Miller.

Le ministre Miller lui a reproché d’avoir véhiculé des «amalgames» en affirmant que «100 % du problème de logement vient de l'augmentation du nombre d'immigrants temporaires».

«Provinces très jalouses» du Québec

Tout au long de l'entrevue de cette semaine, M. Miller a évité de réitérer directement les mêmes critiques, même s’il a affirmé que «des gens font un lien un peu trop direct» entre l’immigration et le logement.

Selon lui, la relation entre Québec et Ottawa ne peut se résumer à un dialogue de sourds et «beaucoup de provinces» sont «très jalouses» de cette «relation privilégiée».

«Dans l'évolution d'une relation, il y a toujours lieu de mieux la raffiner. Le flux de demandeurs d'asile, c'est quand même, dans le volume, quelque chose de relativement nouveau.»

Au sujet des réfugiés qui se trouvent au Québec, M. Miller a noté que «des dizaines de milliers» sont des personnes protégées en vertu de la Convention de Genève, à la suite d’une décision de la CISR, mais se retrouvent coincés «entre deux» puisqu’il attendent un Certificat de sélection du Québec que la province ne livre pas puisqu’elle respecte le seuil qu’elle a le pouvoir de se fixer en la matière.

Selon ce qu’a rapporté le quotidien «Le Devoir» la semaine dernière, plus de 38 000 personnes sont dans cette situation. Le ministre croit qu’elles sont «à toute fin pratique en train de sécher».

«C'est malheureux parce que ce sont des gens qui s'intègrent, qui ont du logement. Ce n’est pas une question de capacité d'accueil», a-t-il dit.

Quoi qu’il en soit, le fédéral a promis de favoriser le «déplacement volontaire» de demandeurs d'asile habitant au Québec vers d’autres provinces canadiennes.

Un comité de travail fraîchement créé pour se pencher sur la répartition interprovinciale des réfugiés poursuit ses travaux cet été et M. Miller espère arriver avec une feuille de route à l'automne.

Émilie Bergeron, La Presse Canadienne