Offrir des services en santé mentale aux jeunes en moins de trois jours


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Par La Presse Canadienne, 2024
MONTRÉAL — En réduisant les barrières d'accès en santé mentale, des jeunes marginalisés ont réussi à avoir des services en trois jours ou moins grâce à un projet de l'Université McGill. Quatre des cinq cliniques implantées ont été réintégrées dans le programme du gouvernement du Québec Aire ouverte, mais une a dû cesser ses activités à la fin du projet de recherche.
Il s'agit d'un site situé au centre-ville de Montréal qui desservait les jeunes sans-abri ou à risque de le devenir. Mis sur pied grâce au Réseau d’intervention de proximité auprès des jeunes de la rue (RIPAJ), les ressources supplémentaires dont il disposait grâce au projet de l'Université McGill ne sont plus disponibles.
«On espère qu'avec nos données probantes, on pourra vraiment inspirer les autres sites [et montrer] que c'est possible de faire une différence», a commenté l’auteure principale de l'étude et professeure au Département de psychiatrie de l’Université McGill, Srividya Iyer.
Le projet «ACCÈS Esprits ouverts» a été lancé en 2014 à l'échelle du pays afin de combler les lacunes dans l’accès à des soins de santé mentale, en particulier pour les personnes issues de communautés marginalisées. Sur les 16 communautés desservies au Canada, cinq se trouvaient au Québec.
En quatre ans, près de 8000 jeunes âgés de 11 à 25 ans ont bénéficié du projet, et chaque six mois, la clientèle augmentait de 10 %, ce qui démontre que le projet a réussi à aller chercher des jeunes qui ont habituellement de la difficulté à faire confiance au système de santé traditionnel.
Parmi les participants, 23 % étaient autochtones; 22 % issus des minorités visibles; 33 % étaient des jeunes qui n'étaient pas à l'école, n'avaient pas d'emploi ni de formation; et 39 % étaient dans la communauté LGBTQ+. Il y avait aussi 41 % des jeunes qui n'avaient pas les moyens financiers pour combler leurs besoins de base (logement, nourriture, vêtements, etc.)
Cognez, entrez, recevez des services
Les résultats du projet de recherche montrent qu'un remaniement des services a permis aux jeunes d'avoir une évaluation dans les trois jours et un traitement dans les 30 jours. Il s'agit de cibles que peu de services publics sont en mesure d’atteindre, souligne Mme Iyer. Les délais dans le réseau public sont de 45 jours à plus d’un an.
Pour avoir accès aux services, les jeunes n'avaient pas besoin d'avoir la référence d'un médecin, comme cela est la norme habituellement. «On a juste éliminé toutes les étapes comme ça. Pas besoin de référence, pas besoin de formulaire. Tu peux juste cogner à la porte, tu peux juste marcher dans la clinique et tu vas avoir l'accès. Et ça, c'est très important parce que quand on traverse beaucoup d'étapes, c'est très difficile pour les jeunes qui sont déjà en détresse», explique Mme Iyer, qui est également chercheuse au Centre de recherche de l’Hôpital Douglas.
La deuxième barrière à l'accès qui a été éliminée est l'obligation d'être évalué par un médecin ou un psychiatre, qui sont habituellement la première porte d'entrée pour les patients. «Ça cause beaucoup de problèmes parce qu'on n'a pas assez de spécialistes pour faire ça. Et on sait que c'est possible de former d'autres professionnels, par exemple, les travailleurs sociaux, les ergothérapeutes, les psychologues, les infirmières, différentes personnes dans le domaine de la santé. C'est très important, parce que, sinon, on a toujours un goulot d'étranglement parce qu'on attend pour le psychiatre pour faire la première évaluation», fait valoir Mme Iyer.
Elle affirme qu'il existe beaucoup de données qui démontrent que c'est possible de faire une évaluation de haute qualité par un professionnel autre que le médecin s'il a bien été formé. D'ailleurs, Mme Iyer est d'avis que la formation est un élément clé qui a permis d'évaluer les jeunes en moins de 72 heures.
«On a fait une formation de base de haute qualité pour tous les intervenants. Alors, ils étaient très préparés pour les jeunes avec les besoins moins complexes et les jeunes avec des besoins plus complexes, peut-être avec des idées suicidaires», expose-t-elle.
Impliquer les jeunes dans la conception
L'idée du projet était de transformer les programmes existants dans des cliniques, des écoles et des centres jeunesse afin de les rendre plus accessibles, plus conviviaux et mieux adaptés aux différentes cultures.
Les espaces ont par ailleurs été construits avec les jeunes, a fait savoir Mme Iyer. «Je pense que l'ingrédient magique, c'est vraiment d'avoir le ''feedback'' des jeunes pour construire ce type de service. Sinon, je ne pense pas que c'est possible quand c'est juste les gestionnaires ou les cliniciens ou les chercheurs. On fait de notre mieux pour connaître les besoins des jeunes, mais quand les jeunes sont impliqués eux-mêmes, on est beaucoup plus proche», explique-t-elle.
Les locaux sont loin de ressembler à des hôpitaux, assure Mme Iyer. «On a demandé l'avis des jeunes pour les couleurs, ce que vous voulez sur les murs ou qu'est-ce que vous voulez comme activités. Alors, c'était des cliniques, mais pas un espace très antiseptique», décrit-elle.
Il était important pour la chercheuse que les jeunes se sentent à l'aise et en sécurité. «Surtout des jeunes marginalisés, par exemple les jeunes LGBTQ+, les jeunes itinérants, les jeunes racisés, les jeunes autochtones. Et on a trouvé que ç'a fait une grande différence», indique Mme Iyer.
Le programme a été élaboré et implanté par des chercheurs de l’Université McGill, en collaboration avec des collègues d’universités de partout au Canada, ainsi qu’avec des jeunes, des familles, des organisations communautaires et des décideurs.
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Katrine Desautels, La Presse Canadienne