Oui, les photos provocantes sur les paquets de cigarettes sont efficaces


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Par La Presse Canadienne, 2025
MONTRÉAL — Vous souvenez-vous de l'image de l'homme avec une trachéotomie à la gorge sur les paquets de cigarettes ou encore celle des taches blanches sur une langue montrant un cancer de la bouche? Ces illustrations, bien que parfois provocantes, sont bel et bien efficaces dans la lutte contre le tabagisme et elles pourraient aider Santé Canada à atteindre son but de réduire la consommation de tabac à moins de 5 % d'ici 2035.
En effet, les images sur les emballages de cigarettes ont un effet dissuasif pour les gens qui fument à l'occasion ou qui voudraient commencer. Elles auraient toutefois moins d'impact pour ceux qui ont une forte dépendance à la nicotine, affirme Anik St-Onge, professeure de marketing à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM.
Elle explique que les fumeurs vont faire de la dissonance cognitive, c'est-à-dire qu'ils savent très bien que la cigarette est dangereuse pour leur santé, mais ils se disent que ce n'est pas si pire. Les fumeurs vont essayer de rationaliser, peut-être en se disant qu'ils connaissent des gens qui fument et qui sont en santé.
«Ça stimule un renforcement négatif, même un stimuli qui est très désagréable. Donc quelqu'un qui ne fume pas vraiment et qui se dirait que ça lui tente d'essayer de fumer et qui voit l'image, peut-être qu'il va y penser à deux fois, surtout avec toutes les campagnes [de sensibilisation]», mentionne Mme St-Onge, ajoutant que les messages véhiculés dans les médias vont appuyer ces illustrations.
Rob Cunningham, analyste principal des politiques à la Société canadienne du cancer (SCC), souligne que de nombreuses études démontrent que les images sur les paquets de cigarettes sont très efficaces. C'est plus efficace que seulement les avertissements écrits sur les emballages, indique-t-il. «Avoir des images des maladies associées avec le tabac, c'est plus visible, c'est plus facile à se souvenir, ça a plus d'impact. Et c'est pourquoi les fabricants de tabac se sont opposés aux mises en garde avec photos. Il y a eu une poursuite constitutionnelle jusqu'à la Cour suprême du Canada et la Cour a appuyé les mises en garde avec photos à l'unanimité», relate-t-il.
Le Canada est un précurseur dans cette stratégie qui vise à diminuer le taux de tabagisme. En 2001, il a été le premier pays à introduire des images de maladies reliées au tabac sur les emballages de cigarettes. Depuis, 137 autres pays ont emboîté le pas, selon le plus récent rapport «Mises en garde sanitaires sur les paquets de cigarettes», publié en 2024 par la SCC.
M. Cunningham souligne que non seulement les images sur les emballages de cigarettes sont efficaces dans la lutte au tabac, mais cela ne coûte rien au gouvernement. «C'est Santé Canada qui décide des messages et des photos, et ce sont les fabricants de tabac qui impriment les photos», explique-t-il.
Bien qu'on ne puisse pas attribuer la diminution du taux de tabagisme uniquement à ces illustrations, le spécialiste met de l'avant que dans les années 1960, la moitié de la population adulte fumait au Canada, dont 61 % des hommes. Maintenant, 12 % des Canadiens âgés de 15 ans et plus fument des cigarettes.
Sans changer les photos, on finit par ne plus les voir
Certaines photos sont assez sensationnelles. Les récents emballages montrent par exemple des dents très noircies ou encore une tumeur au cou. «Peut-être que ces mises en garde sont choquantes, mais c'est la vérité. C'est ce que la cigarette fait comme effets négatifs de santé. Ça n'informe pas seulement les fumeurs, mais les membres de leurs familles, leurs amis, de personnes avec lesquelles ils travaillent», fait valoir M. Cunningham.
Mme St-Onge abonde dans le même sens. «On est vraiment dans de la sensibilisation, dans de la prévention. Imaginez que votre mère fume, elle laisse traîner son paquet de cigarettes et vous le voyez. C'est certain que ça peut amener de la discussion. C'est une image qui a beaucoup d'impact et qui fait réfléchir, mais elle, elle ne la voit sûrement plus, cette image-là», dit-elle.
Pour être efficace, il faut changer les photos, sinon les gens s'y habituent. Le Canada a fait une première mise à jour en 2012, et une autre en 2024 avec 14 nouvelles images. Une nouvelle série est prévue en 2026.
La cigarette est un produit addictif, donc même si les images varient de temps en temps, les fumeurs réguliers risquent de demeurer dépendants sans des mesures supplémentaires. «À un moment donné, on ne voit plus l'image, donc c'est sûr que de changer les images est excellent pour faire de la prévention auprès de ces personnes et les décourager, mais ça me surprendrait beaucoup qu'il y ait eu une baisse du nombre de fumeurs à cause du changement d'images. Par contre, les gens se posent peut-être davantage la question, puis ça va faire partie de leur processus décisionnel à diminuer la cigarette ou peut-être même arrêter éventuellement», détaille Mme St-Onge.
Message sur les cigarettes individuelles
Le Canada a adopté l'emballage neutre en 2019, c'est-à-dire qu'il n'y a plus de couleurs de marques ni de graphique et logo qui représentent les marques. Le paquet est en brun et le nom des marques est en blanc. L’Australie a été le premier pays à mettre en application l’emballage neutre en 2012.
Plus récemment, en 2023, le Canada est devenu le premier pays à imposer des étiquettes d'avertissement sur les cigarettes individuelles.
M. Cunningham pense que c'est une bonne stratégie dans la lutte au tabagisme. «On a un message qui est toujours là, dans toutes les communautés, chaque jour, chaque fumeur, chaque cigarette, chaque bouffée. Et ça contribue à la discussion», soulève le spécialiste.
Peut-être que dans les pauses de cigarettes les gens vont se demander quel message ils ont aujourd'hui. Peut-être que les enfants vont poser des questions s'ils voient les mégots dans les cendriers à la maison, avance M. Cunningham. «Ça amène les mises en garde à un nouveau niveau», dit-il.
Mme St-Onge voit aussi cela d'un regard positif. Dans le contexte de sensibiliser les Canadiens, elle croit que c'est une bonne stratégie de répéter qu'il s'agit d'un poison et elle se demande quel effet cela peut avoir de mettre ce produit dans sa bouche avec par exemple l'inscription «du poison dans chaque bouffée».
Avec tous les efforts qui sont déployés, M. Cunningham croit que Santé Canada peut réussir à atteindre sa cible de moins de 5 % de fumeurs de tabac d'ici 2035. Il ajoute toutefois qu'il faut faire plus, comme d'avoir une stratégie globale avec la taxation, plus de réglementation et des programmes de lutte au tabagisme.
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Katrine Desautels, La Presse Canadienne