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Paradoxe: le réchauffement climatique cause des feux de forêt qui refroidissent l'air

durée 16h40
10 juin 2025
La Presse Canadienne, 2024
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Temps de lecture   :  

4 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

MONTRÉAL — Le dérèglement climatique – particulièrement les feux de forêt qu’il cause – joue des tours aux experts censés en comprendre les effets et en prévoir les conséquences.

La croissance exponentielle du nombre et de la superficie des incendies dans la forêt boréale canadienne et sibérienne au cours de la dernière décennie, attribuable aux étés plus chauds, à un couvert de neige moins épais au printemps, est venue ajouter un calcul paradoxal et inattendu à la modélisation des changements climatiques.

Pourquoi? Parce que les aérosols contenus dans la fumée reflètent la lumière du soleil et contribuent à réduire la température des régions nordiques durant la saison des feux. Or, les plus récentes modélisations de changements climatiques n’ont pas tenu compte de l’impact de cette intensification des feux de forêt, les calculs ayant servi à les élaborer les plaçant à un niveau constant de sévérité relativement faible.

Ralentissement marqué du réchauffement

Une nouvelle étude de l’Université de Washington prévoit que, durant les 35 prochaines années, l’accroissement de ces feux en zone boréale viendra ralentir le réchauffement de 12 % globalement et de 38 % dans l’Arctique. Cette étude est la première à identifier l’écart entre l’impact réel de l’augmentation des feux de forêt boréale et la constante utilisée dans les modélisations climatiques.

D’après les chercheurs, les aérosols augmentent la capacité des nuages de réfléchir la lumière du soleil et font chuter la température estivale dans les régions nordiques, ce qui réduit la perte de glace de mer et entraîne des températures hivernales plus fraîches. Cet effet de refroidissement survient malgré le réchauffement causé par les feux eux-mêmes et leur rejet de suie sur la glace.

L’étude, publiée dans «Proceedings of the National Academy of Sciences» (PNAS), «nous aide à mieux prévoir les impacts des changements climatiques», fait valoir Edward Blanchard-Wrigglesworth, auteur principal et professeur associé en science de l’atmosphère et du climat. «L’augmentation dramatique des feux de forêt au cours des dernières années en est un symptôme.»

«Pas des bonnes nouvelles»

Il prévient toutefois qu’il «est important de se rappeler que la croissance de ces feux continue d’avoir de nombreux impacts négatifs sur la santé humaine et la biodiversité des forêts. Si ces feux continuent de s’accroître, ils pourraient éventuellement brûler toute la forêt et la tendance se renverserait. Donc, je ne dirais pas que ce sont de bonnes nouvelles, mais cela nous aide à mieux comprendre la nature et ces tendances.»

À tous les six ou sept ans, les centres de modélisation du climat autour du monde collaborent pour mettre leurs projections à jour, en utilisant des données qui remontent dans certains cas jusqu’au 19e siècle et qui se projettent jusqu’en 2100. Ces données incluent des éléments tels que les feux de forêt et les émissions de carbone d’origine humaine.

Dans les dernières modélisations, préparées avant que les feux de la forêt boréale ne deviennent une anomalie très claire, les calculs se basaient sur une constance en matière d’incendies forestiers de 2015 jusqu’à 2100.

Le professeur Blanchard-Wrigglesworth souligne que l’intensification des feux de forêt s’est amorcée en 2015, mais que les pics d’incendies en forêt boréale sont survenus en 2019 et 2021 en Sibérie et encore plus en 2023 au Canada.

Les scientifiques ont donc refait des calculs de modélisation en y ajoutant des projections de feux de forêt boréale basées sur les tendances récentes, ce qui a ajouté l’élément des aérosols de la fumée de même que la suie qui se pose sur la glace arctique et la rend plus foncée, ce qui l’amène à absorber davantage de chaleur du soleil comme le fait le soleil sur l’asphalte. La réfraction accrue du soleil par les aérosols dépassait toutefois largement le réchauffement causé par la suie.

Effet plus marqué en hiver

Bien que les feux ne se produisent qu’en été dans la forêt boréale, les chercheurs ont découvert un effet de refroidissement plus grand en hiver parce qu’en bloquant une partie du soleil d’été, la fumée permet à la glace de devenir plus épaisse et de durer jusqu’à l’hiver suivant.

L’étude a permis de découvrir des impacts dans des régions très éloignées de la forêt boréale. En fait, la fumée rafraîchit les températures pour l’ensemble des saisons sur une zone s’étendant de l’Arctique au nord de la Californie, à la hauteur du 40e parallèle. Les feux poussent également les pluies tropicales plus au sud parce que les précipitations tropicales dépendent en partie de la différence de températures entre les hémisphères Nord et Sud.

Les auteurs de l’étude invitent maintenant leurs collègues à se pencher sur les impacts de l’accroissement des feux de forêt pour remettre leurs modélisations à jour.

«Si la croissance des feux de forêt se poursuit sans restriction au cours des prochains 10 ou 20 ans, la société pourrait décider de tenter de les gérer davantage, mais avant d’y consacrer autant de ressources, nous devons essayer de mieux en comprendre les conséquences», fait valoir le professeur Blanchard-Wrigglesworth.

Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne