Première canadienne: nouvelle technique de correction de la scoliose au CHUM


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Par La Presse Canadienne, 2025
MONTRÉAL — Deux patients du Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM) ont dernièrement été les tout premiers au Canada à profiter d'une technique de correction de la scoliose qui n'est arrivée au pays que tout récemment.
La technique consiste à appliquer sur chaque vertèbre du patient des guides fabriqués sur mesure avant de forer dans l'os, afin de permettre la correction la plus efficace et la plus sécuritaire possible.
La Presse Canadienne a obtenu un accès exclusif à la deuxième chirurgie, notamment lors d'une longue discussion avec les chirurgiens orthopédistes Jesse Shen et Zhi Wang, et lors d'une visite en salle d'opération le jour de l'intervention.
«C'est faisable de faire cette chirurgie-là sans avoir besoin de technologie, mais maintenant on a de la technologie pour nous aider à faire une intervention plus sécuritaire», a résumé le docteur Shen.
«On peut conduire une auto puis arriver au point B sans GPS, mais maintenant on a tous une caméra dans l'auto et il y a de meilleurs moyens d'aller du point A au point B.»
La scoliose constitue une déformation en trois dimensions de la colonne vertébrale. C'est donc à dire que la colonne est potentiellement déformée dans tous les sens, et non seulement d'un côté ou de l'autre.
Lors d'une intervention classique, des multiples clichés sont pris de l'anatomie du patient et, le jour de la chirurgie, le médecin se fie à ces clichés, à son expertise et à son expérience pour procéder à la correction.
La procédure récemment arrivée au CHUM implique plutôt la réalisation d'un modèle en trois dimensions de la colonne vertébrale du patient. Des guides sont ensuite confectionnés sur mesure et leur ajustement est vérifié sur le modèle en 3D aussi bien avant que pendant la chirurgie.
Si l'ajustement sur le modèle est correct, le chirurgien positionne le guide directement sur la vertèbre correspondante du patient, ce qui lui permet d'installer les vis nécessaires à la correction avec un minimum de risques et un maximum de précision ― un avantage crucial quand on sait qu'il ne dispose parfois que d'une marge d'environ un millimètre pour ne pas endommager la moelle épinière, avec toutes les conséquences catastrophiques que cela pourrait avoir.
«Plus la scoliose est sévère, plus la difficulté est grande et plus il y a de risques, a dit le docteur Wang. Mais si on peut réduire le risque à 0,1 %, au lieu de 2 ou 5 %, pourquoi on ne le ferait pas?»
Même le chirurgien le plus expérimenté pourra devoir renoncer à installer deux ou trois vis pendant une intervention à main levée, ce qui pourra nuire à la qualité de la correction, a-t-il ajouté.
«Le dernier cas qu'on a fait (avec la nouvelle technique), on a raté zéro vis, tout a réussi», s'est-il réjoui.
En salle d'opération
Le docteur Shen s'est familiarisé avec cette technique lors de sa formation aux États-Unis, où elle est utilisée de longue date, et on ne sera pas surpris d'apprendre que ses collègues et lui ont dû surmonter de multiples obstacles réglementaires, bureaucratiques et budgétaires pour l'importer au Canada.
Elle comporte pourtant des avantages évidents aussi bien pour le patient que pour le chirurgien, a-t-il fait valoir.
«Je sens que mon corps ralentit, je ne suis pas aussi stressé (pendant l'intervention), a confié le docteur Shen. Je me sens 100 % plus en confiance.»
Ce confort, si on peut utiliser ce terme, est palpable lors de la visite de La Presse Canadienne en salle d'opération.
Le docteur Wang, qui attend de prendre la relève de son collègue, est intarissable quand vient le temps d'expliquer tout ce que nous voyons. Le docteur Shen, bien qu'il tienne la vie de sa patiente entre ses mains, semble aussi à son aise que s'il faisait griller des hamburgers sur le bord de sa piscine.
Nous sommes même surpris de l'entendre nous saluer et nous souhaiter la bienvenue peu après notre arrivée, alors que nous le supposions entièrement absorbé ― à juste titre ― par sa tâche.
«Ça diminue mon stress et ça aide tous les autres membres de l'équipe parce que toutes les vis sont préplanifiées, avait-il expliqué lors de notre rencontre. Ça augmente la sécurité, ça diminue le stress, et ça peut juste aider tout le monde.»
Il a clairement raison. Aucun des membres de l'équipe chirurgicale ne semble particulièrement stressé par la procédure lors de notre visite. On aperçoit même une infirmière partager son attention entre les écrans devant elle et son téléphone cellulaire.
Il ne faut toutefois pas tomber dans le piège de laisser la technologie prendre toute la place, a prévenu le docteur Wang.
«Ça ne remplace pas l'expertise du chirurgien, a-t-il dit. Comme on dit en anglais, 'a fool with a tool is still a fool' (un imbécile avec un outil demeure un imbécile).»
Changement de paradigme
L'introduction de cette nouvelle technique témoigne des changements survenus en matière de correction de la scoliose au cours des dernières années, a souligné le docteur Wang, qui a commencé à pratiquer en 2008.
«C'est un tout autre monde, a-t-il dit. À ce moment-là (en 2008), si le patient sortait de la salle d'opération sans douleur et capable de bouger ses jambes, c'était déjà 'winner'. Aujourd'hui, ça ne suffit plus que le patient bouge les jambes, il faut qu'il aille mieux. La bataille n'est pas gagnée seulement parce qu'il bouge les jambes.»
Les patients opérés pour une correction de la scoliose sont fréquemment de jeunes adultes, ce qui vient avec son lot de défis puisqu'il s'agit d'une patientèle pour qui il n'y a pas de «bon moment» pour procéder à cette intervention, seulement de «moins mauvais moments», a dit le docteur Wang.
Passer sous le bistouri peut ainsi interférer avec la poursuite des études, le début d'une carrière ou la fondation d'une famille. Le docteur Shen a d'ailleurs dû gentiment ramener à la réalité sa patiente qui espérait partir en voyage à la fin du mois de juillet.
On ne peut toutefois pas constamment reporter l'intervention, puisque la scoliose s'aggrave avec chaque année qui passe. Et comme ces patients ont souvent encore 50 ou 60 ans de vie devant eux, il est primordial de leur redonner la meilleure qualité de vie le plus rapidement possible, a dit le docteur Wang, «parce que ce n'est pas nous qui vivons avec la douleur, c'est eux».
«(La douleur) joue sur leur santé mentale, a-t-il rappelé. Ils ne peuvent pas faire de sport, ils prennent du poids, ils ne peuvent pas écouter un film sans se lever deux ou trois fois parce que leur dos est mal positionné...»
Les docteurs Shen et Wang s'entendent sur un point: il est très «frustrant» de ne pas être en mesure de proposer la meilleure option possible au patient quand on sait qu'elle existe.
Les patients ne savent pas tout, a dit le docteur Shen, «mais nous oui, on le sait qu'il existe quelque chose de plus rapide, de plus sécuritaire et de plus facile».
Et même s'il y a des contraintes budgétaires, le Canada ne peut pas toujours vivre dans les années 1990 et on ne peut pas faire une campagne de financement participatif à chaque fois, a renchéri le docteur Wang.
«Pourquoi est-ce que je ferais des cas à main levée s'il existe quelque chose de plus fiable, de meilleur pour moi et pour le patient?, a-t-il demandé en conclusion. Pourquoi est-ce que je sauterais dans l'océan sans veste de sauvetage?»
Jean-Benoit Legault, La Presse Canadienne