Nous joindre
X
Rechercher
Publicité

Quatre mois après l'interdiction des téléphones à l'école: l'impact «est majeur»

durée 10h00
24 décembre 2025
La Presse Canadienne, 2025
durée

Temps de lecture   :  

5 minutes

Par La Presse Canadienne, 2025

MONTRÉAL — Quatre mois après l'entrée en vigueur de l'interdiction des téléphones portables dans les écoles primaires et secondaires du Québec, plusieurs directions scolaires constatent des effets positifs sur la vie sociale, le niveau d’activité physique des jeunes, mais aussi sur la réussite scolaire.

C’est l’avant-dernier jour de classe avant les vacances des fêtes à l’École Monseigneur-A.-M.-Parent, à Longueuil.

La cloche du dîner sonne, les élèves déferlent dans les corridors et la radio étudiante diffuse des chansons de Noël.

Dans ce brouhaha, des élèves s’installent pour jouer aux cartes, d'autres au ping-pong ou encore à des jeux de société.

«Avant, les gens étaient beaucoup sur leur téléphone et jouaient à des jeux, mais comme ils ne peuvent plus le faire, maintenant ils jouent ensemble ou ils se parlent», explique à La Presse Canadienne Constance Boie, une élève de secondaire 5.

Assise près d’elle, Shelby Miclette fait savoir qu’elle est «plutôt introvertie» et que l’interdiction du téléphone à l’école l’a poussée à faire de nouvelles connaissances.

«Je suis plus ouverte aux autres qu'avant. Ça m'a sortie de ma bulle un peu.»

Le constat des deux adolescentes rejoint celui de la directrice de l’école, Mélanie Lacourse, qui soutient avoir observé «rapidement» les bienfaits de la nouvelle réglementation au niveau de la socialisation.

«Ça favorise vraiment des relations authentiques entre les élèves. Tous les matins, je fais le tour de l'école et, même encore à ce jour, je constate des changements au niveau des interactions sociales», explique la directrice.

«C'est un climat plus convivial et parfois, oui, plus bruyant, parce que justement, ils jasent entre eux, mais c'est formidable de voir ça!», ajoute la directrice, qui dit avoir remarqué «une diminution de l’isolement».

Elle est «persuadée» que «jouer au baby-foot, au ping-pong, aller au gymnase ou passer du temps de qualité avec un ami» sont des activités qui ont «un impact sur la concentration et l'attention et forcément sur les apprentissages» des élèves.

«On ne regarde pas les notifications sur notre téléphone avant d’aller en classe», donc «notre tête n’est pas ailleurs», alors «peut-être que notre concentration s’est améliorée», ajoute Shelby Miclette, elle aussi une élève de secondaire 5.

Le téléphone est interdit depuis deux ans pour les élèves de première secondaire de l’école Mgr-A.-M.-Parent, donc l’entrée en vigueur de la mesure du gouvernement a étendu cette interdiction aux secondaires 2, 3, 4 et 5.

Un «impact majeur»

À Saint-Augustin-de-Desmaures, en banlieue de Québec, le directeur général du Séminaire Saint-François, Jean-François Boisvert, s'attendait à «une certaine résistance des élèves les plus vieux» lors de la mise en place du nouveau règlement, mais «en toute honnêteté, ça s'est vraiment bien passé, il n’ y a eu aucune rébellion, aucune contestation».

Avant la nouvelle réglementation, «beaucoup d’élèves avaient le réflexe de sortir leur cellulaire et de consulter leur message ou d'aller sur les réseaux sociaux en passant d'un local à l'autre. Maintenant on les voit qui jouent, qui rient, qui se parlent. On entend le changement dans les corridors, ça parle et ça rit beaucoup plus. Donc, au niveau des habiletés sociales, c'est clair que ça a un impact majeur».

Une entrave au développement de la personnalité

La psychologue clinicienne et chercheuse au Centre de recherche du CHU Sainte-Justine, Linda S. Pagani, n’est pas surprise lorsqu’on lui rapporte que des directeurs d’école semblent ne voir que du positif à l’interdiction des téléphones à l’école.

Selon elle, non seulement l’usage excessif du téléphone chez les jeunes nuit à l’apprentissage scolaire, mais il entrave aussi le développement de la personnalité.

«Les cellulaires distraient tellement que ça retarde toutes les tâches que les adolescents doivent faire pour construire leur identité.»

L’adolescence, ajoute la chercheuse, est une «période critique pour le développement de l’identité, une période qui va consolider notre sentiment d'être compétent et d’être en contrôle de notre destin», mais les réseaux sociaux et l’hyperconnectivité nuisent à ce processus.

«C’est comme si on disait à un bébé: reste dans la poussette, ce n’est pas grave, tu apprendras à marcher plus tard», illustre-t-elle.

Au Séminaire Saint-François, le téléphone est interdit depuis plusieurs années au premier cycle et la règle qui est entrée en vigueur à la rentrée scolaire 2025 a étendu l’interdiction au deuxième cycle.

«Le seul enjeu que ça a créé pour nous, c'est au niveau de la surveillance», explique Jean-François Boisvert, car «avant, nos élèves étaient regroupés dans quelques endroits communs, la tête penchée sur leur téléphone».

Mais depuis la rentrée, «il y a des élèves un peu partout qui explorent l’école, qui jouent à la cachette ou qui courent, alors il a fallu repenser notre façon de surveiller les corridors».

M. Boisvert assure du même souffle qu’il préfère de loin «gérer de la vie dans l’école que de gérer un troupeau d’élèves penchés sur leur téléphone».

Surcharge mentale

La psychologue clinicienne Linda S. Pagani souligne que les longues heures exposées aux plateformes numériques et aux réseaux sociaux font en sorte «qu’on est distrait constamment».

Cette surcharge cognitive, souligne la chercheuse, augmente le risque de fatigue mentale et compromet les capacités d’apprentissage.

Une étude publiée en février 2022 dans le Journal of Adolescent Health rapporte que le temps d’écran des adolescents québécois était de 7,7 heures par jour en 2022, un résultat comparable au nombre d’heures de sommeil des jeunes, mais plus que le nombre d’heures dans une journée de classe.

«L’hyperconnectivité» est allée trop loin et il faut «débrancher les élèves quelques heures par jour pour «s’assurer qu’ils se développent bien et puissent contribuer à la société», soutient Linda S. Pagani.

Celle qui enseigne la psychoéducation à l’Université de Montréal «ne veut même pas voir» un étudiant assister à ses cours avec un ordinateur.

Ainsi, ses étudiants doivent faire comme leurs parents faisaient à une autre époque, et prendre des notes à la main.

Il est important, ajoute Mme Pagani, de pratiquer l’écriture manuscrite, car «l'acte d'écriture consolide l'apprentissage».

Après le téléphone, la tablette?

Plusieurs écoles secondaires privées, comme le Séminaire Saint-François, imposent l’utilisation de la tablette électronique aux élèves.

Mais de nombreux experts s’interrogent sur la pertinence de ces outils et certaines directions scolaires remettent désormais en question ce choix.

«On a annoncé à nos futurs parents qu'à partir de l'année prochaine, la tablette va laisser place à un ordinateur portable, en grande partie parce qu'on se rendait compte que nos élèves, quand ils graduent pour aller au cégep, ensuite à l'université ou dans le monde du travail, l'outil qu’ils utilisent, c’est un ordinateur portable», explique le directeur du Séminaire Saint-François.

Jean-François Boisvert ajoute que la tablette peut être utilisée comme un outil pédagogique, mais aussi «comme un outil de loisir», ce qui entraîne «des défis de gestion» et de surveillance, autant pour les enseignants que les parents.

Le cellulaire était déjà interdit dans les salles de classe du Québec depuis janvier 2024. L’interdiction du téléphone à l’école, du début jusqu’à la fin des cours, était la première recommandation de la «Commission spéciale sur les impacts des écrans et des réseaux sociaux sur la santé et le développement des jeunes», qui a déposé un rapport provisoire au printemps dernier.

Stéphane Blais, La Presse Canadienne