Nous joindre
X
Rechercher
Publicité

Rapport sur le favoritisme: Jean-François Roberge était au courant depuis un an

durée 16h58
18 novembre 2022
La Presse Canadienne, 2022
durée

Temps de lecture   :  

4 minutes

Par La Presse Canadienne, 2022

QUÉBEC — L'ex-ministre de l'Éducation Jean-François Roberge était au courant depuis un an des conclusions du rapport dévastateur du Protecteur du citoyen sur le favoritisme pratiqué au sein de son ministère, au moment de distribuer des subventions à des organismes.

Il en a été informé à l'automne 2021, a confirmé vendredi son cabinet, au lendemain de la publication des conclusions du rapport.

Jeudi, le nouveau ministre de l'Éducation, Bernard Drainville, indiquait qu'un certain nombre des neuf recommandations du Protecteur du citoyen avaient été implantées, mais seulement plusieurs mois plus tard, en avril 2022. Il ajoutait que d'autres changements surviendraient dans la façon de gérer les subventions, sans dire lesquels.

Vendredi, le Protecteur du citoyen précisait que l'enquête menée sur le ministère de l'Éducation avait débuté en février 2018, donc sous administration libérale, et qu'elle s'était poursuivie jusqu'en novembre 2021, sous administration caquiste. L'enquête avait été menée à la suite d'une demande d'un lanceur d'alerte, dont le nom n'apparaît nulle part.

Le ministère de l'Éducation a été dirigé par le libéral Sébastien Proulx, de 2016 à 2018, et par le caquiste Jean-François Roberge, de 2018 à 2022.

Au terme de cette longue enquête, le Protecteur du citoyen a révélé et dénoncé jeudi un stratagème mis en place au ministère de l'Éducation en vue d'aider financièrement certains organismes partenaires du ministère au détriment d'autres organismes. Il reproche essentiellement au ministère de l'Éducation d'avoir transformé un programme de nature administrative en outil servant à distribuer des faveurs politiques. 

Il s'agit, selon le Protecteur du citoyen, d'un «cas grave de mauvaise gestion» d'un programme dont le budget annuel atteint 60 millions $.

Loin de prendre ses distances de son prédécesseur libéral dans ce dossier, le ministre Roberge, devenu depuis responsable de la Langue française notamment, affirme avoir agi «comme son prédécesseur» et «avoir suivi le protocole qui était en place en attribuant des subventions à des organismes soutenant des élèves».

Il reprend même à son compte l'affirmation faite jeudi par M. Proulx, en disant que «si c'était à refaire, je n'hésiterais pas une seule seconde, je le referais».

Dans un échange de textos avec son cabinet, il affirme aussi que le Protecteur recommandait notamment que ce programme «soit davantage balisé, par des normes». Il dit avoir demandé à ses fonctionnaires de «préparer des normes et de les mettre en place». 

Mais il ne dit pas, cependant, à quelles normes il fait allusion, ni quand elles devaient être mises en place, avec quelles conséquences sur les relations entre le cabinet et les fonctionnaires, ou encore entre le cabinet et les organismes partenaires. Il ne mentionne pas non plus dans quelle mesure les nouvelles normes devaient exclure toute forme de favoritisme.

Le ministre Roberge a refusé une demande d'entrevue vendredi.

Le document du Protecteur est avare de détails, au point où il est difficile de tracer un portrait complet de la situation et dire qui a fait quoi et quand. M. Dowd a refusé les demandes d'entrevues. 

Les conclusions de l'enquête indiquent que le cabinet du ministre a favorisé, sans justification et souvent au mépris des recommandations des fonctionnaires, le versement de subventions à certains organismes sans but lucratif, tels le Club des petits déjeuners du Canada, Allo Prof, la Cantine pour tous et la Fiducie d'éducation des adultes des Premières Nations. La liste exhaustive n'est pas disponible.

Pratiques inéquitables et nombreuses irrégularités ont été observées dans l'octroi des sommes versées à ces organismes, et ce, à répétition, écrit le Protecteur.

«Dans plusieurs situations, des organismes ont véritablement bénéficié d’un traitement de faveur», écrivait-il, en constatant que «les autorités politiques ont empiété sur les rôles de l’appareil administratif pour influencer les décisions d’octroi d’aide financière».

Les «relations de proximité» entre le personnel politique et les dirigeants des organismes en question ont fait en sorte que les décisions étaient prises au niveau politique, alors que l'étude des dossiers aurait dû normalement passer par le palier administratif.

Le stratagème allait jusqu'à transformer des «recommandations au ministre de ne pas octroyer de subvention» en «recommandations positives».

Des organismes ont même reçu de l'aide financière du gouvernement sans jamais avoir déposé de demande en ce sens ou présenté de projet.

L'ancien ministre libéral Sébastien Proulx, qui dit ne rien regretter dans ce dossier, reproche au Protecteur de ne jamais l'avoir contacté pour entendre sa version des faits.

Les partis d'opposition sont restés sur leur faim et notent les nombreuses zones d'ombre dans cette affaire.

Vendredi, le chef du Parti québécois, Paul St-Pierre Plamondon, a estimé que plusieurs questions demeuraient sans réponses. Il a demandé au Protecteur de «donner des précisions sur les faits».

«Le protecteur doit préciser les faits et les comportements qu'il juge alarmants», a-t-il dit, en entrevue téléphonique. Une fois tous les faits connus, on pourra «évaluer s'il s'agit de détournement de fonds ou d'une utilisation normale des fonds publics».

La veille, le chef par intérim de l'opposition officielle, Marc Tanguay, réclamait lui aussi que toute la lumière soit faite dans ce dossier.  

Questionné à ce propos alors qu'il était en mission en Tunisie, le premier ministre François Legault a rejeté les critiques, affirmant que ce dont il est question ici «ce n'est pas un système de favoritisme».

Il a réclamé pour les ministres une marge de manoeuvre en ce domaine, disant qu'on reprochait souvent au gouvernement de faire trop de place à la bureaucratie.

«Il faut laisser la place au jugement», et faire preuve de transparence, a-t-il fait valoir. 

Jocelyne Richer, La Presse Canadienne