Retour sur l'épidémie d'E. coli de Walkerton qui a tout changé il y a 25 ans


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Par La Presse Canadienne, 2024
Bruce Davidson se souvient de l'épidémie d'E. coli qui a ravagé sa ville natale il y a 25 ans comme d'un «rêve étrange».
L'hôpital de la petite communauté ontarienne de Walkerton, habituellement peu fréquenté, a soudainement été submergé de patients souffrant de diarrhée sévère, de vomissements et de douleurs abdominales. Les premiers cas ont été signalés le 17 mai 2000.
Bientôt, la municipalité, située à environ 140 kilomètres au nord de London, en Ontario, a manqué de médicaments contre la diarrhée, le service des urgences s'est retrouvé débordé et des ambulances aériennes sont arrivées pour transporter les malades vers d'autres hôpitaux.
Ce qui s'est avéré être la pire épidémie d'infections à E. coli O157 au Canada, causée par de l'eau potable contaminée par du fumier, a tué sept personnes et en a rendu malades environ 2300 autres.
C'était un «rêve étrange où l'on est toujours soi-même, mais où rien n'est plus pareil», a témoigné M. Davidson. Sa propre famille est tombée malade et il a ensuite formé un groupe de défense des citoyens en réponse à la tragédie.
Les écoles et les restaurants étaient fermés, et les rues, habituellement animées par les enfants qui jouaient lors des chaudes journées de printemps, ressemblaient à une «ville fantôme», s'est-il souvenu.
«Au début, nous étions tous sous le choc, mais cela s'est très vite transformé en colère», a expliqué M. Davidson lors d'un récent entretien téléphonique.
Il avait entendu parler de maladies d'origine hydrique dans les régions pauvres du monde, mais il a affirmé qu'il n'aurait jamais imaginé vivre une telle expérience au Canada.
Le pays dispose de la technologie, des fonds et des infrastructures nécessaires à un approvisionnement en eau potable, «et pourtant, nous tuons des gens avec de l'eau potable», a-t-il souligné.
Une enquête déclenchée
La crise sanitaire, causée par un mélange de négligence humaine, de manque de ressources et de facteurs naturels, a suscité l'indignation à l'échelle nationale et a déclenché une enquête publique qui a duré près de deux ans.
Il a été déterminé que de fortes pluies entre le 8 et le 12 mai 2000 avaient entraîné du fumier de bétail d'une ferme voisine dans un puits. De là, la bactérie mortelle E. coli s'est retrouvée dans le réseau d'eau municipal.
Les deux frères qui géraient le système, Stan et Frank Koebel, ont plaidé coupables aux accusations criminelles dans cette affaire.
L'enquête a révélé qu'aucun des deux frères n'avait la formation requise pour exploiter un service public et un réseau d'eau, qu'ils n'avaient pas correctement chloré l'eau et que les registres de sécurité de l'eau avaient été falsifiés.
L'enquête a également révélé que Stan Koebel savait dès le 17 mai que l'eau était contaminée par E. coli, mais qu'il n'avait pas divulgué les résultats des analyses pendant plusieurs jours. Lorsqu'un avis d'ébullition de l'eau a été émis le 21 mai, il était trop tard.
«C'était extrêmement tragique, et plus tragique encore, car les opérateurs, qui n'avaient pas reçu la formation adéquate et ne comprenaient pas que les eaux souterraines pouvaient rendre les gens malades, ont dissimulé les résultats des analyses», a mentionné Theresa McClenaghan, directrice générale de l'Association canadienne du droit de l'environnement.
Mme McClenaghan, qui représentait les résidents de Walkerton lors de l'enquête, a déclaré que, si les frères avaient fait preuve de transparence et avaient informé le public du problème dès qu'ils en avaient eu connaissance, beaucoup n'auraient pas été malades.
«Mais cela a continué pendant des jours et des jours, et les gens ont continué à boire cette eau hautement contaminée», a-t-elle rappelé.
Selon Mme McClenaghan, l'enquête n'avait laissé aucune piste de côté et avait finalement formulé une série de recommandations qui servent désormais de fondement à la réglementation sur la salubrité de l'eau, notamment la Loi sur la salubrité de l'eau potable et la Loi sur l'eau saine de la province.
Cette tragédie a donné lieu à des réformes législatives fondamentales visant à renforcer les normes de salubrité de l'eau potable, notamment la protection des sources d'eau, les normes de traitement et les procédures d'analyse et de déclaration.
Un accès à l'eau potable pas encore garanti
Malgré ces progrès considérables, l'accès à une eau potable salubre demeure un problème grave, en particulier dans les communautés des Premières Nations du nord de l'Ontario.
Un rapport publié par la vérificatrice générale de l'Ontario en mars a soulevé des inquiétudes concernant la surveillance des réseaux d'eau non municipaux, notamment des analyses et une surveillance inadéquates ainsi qu'un manque de contrôle de la conformité. Près de trois millions d'Ontariens s'approvisionnent en eau auprès d'un réseau non municipal.
Bien que 98 % des échantillons analysés dans ces réseaux au cours de la dernière décennie aient satisfait aux normes provinciales sur l'eau potable, certaines faiblesses doivent être corrigées pour garantir la salubrité de l'eau, indique le rapport.
Le rapport précise qu'environ 1,3 million de personnes boivent de l'eau provenant de puits privés, et que 35 % des échantillons prélevés entre 2003 et 2022 ont révélé des indicateurs de contamination bactérienne.
Le rapport formule des recommandations, notamment l'intensification des tests et de la surveillance, ainsi que la sensibilisation aux risques et la disponibilité des ressources de test.
«Comme l'a démontré la crise de Walkerton, les conséquences de la consommation d'eau insalubre par les Ontariens peuvent être mortelles», a écrit la vérificatrice générale Shelley Spence.
L'Association canadienne du droit de l'environnement et des dizaines d'autres organisations ont écrit au gouvernement provincial pour demander une mise en œuvre «rapide et transparente» des recommandations de Mme Spence.
Le maire de Brockton, la municipalité qui comprend Walkerton, s'est dit heureux que d'importantes réformes aient été mises en œuvre depuis la contamination mortelle de l'eau potable.
«Les tests effectués sur l'eau potable municipale en Ontario sont actuellement très rigoureux», a précisé Chris Peabody.
Il a indiqué que 35 personnes travaillent actuellement au Centre d'assainissement de l'eau de Walkerton, où des opérateurs de partout au Canada sont formés pour fournir une eau potable saine et propre.
M. Peabody n'a toutefois pas souhaité s'étendre davantage sur la tragédie survenue il y a 25 ans, affirmant qu'il s'agissait d'une expérience traumatisante pour de nombreuses personnes.
Bruce Davidson a avancé que, même si les infections à E. coli dans sa famille n'étaient pas aussi graves que celles de nombreuses autres, ils en subissaient tous les conséquences.
Il a ajouté que sa femme souffrait de douleurs sporadiques, mais «atroces», et de fortes crampes depuis environ trois ans, et que lui et son fils connaissent encore «des jours où ils n'ont vraiment pas envie de s'éloigner des toilettes».
La communauté a largement progressé, a-t-il ajouté. Les logements ont augmenté, tout comme les écoles. L'eau est probablement plus sûre que partout ailleurs dans la province.
Après la tragédie, quelques résidents ont décidé de quitter Walkerton, mais la plupart, dont M. Davidson, sont restés.
«La plupart des gens ont regardé la situation et se sont dit : cette communauté est notre chez-nous. Elle mérite qu'on se batte pour elle», a-t-il soutenu.
Sharif Hassan, La Presse Canadienne