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T-N-L: des détenus dénoncent les conditions dans la plus grande prison de la province

durée 22h28
30 août 2023
La Presse Canadienne, 2023
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Temps de lecture   :  

4 minutes

Par La Presse Canadienne, 2023

SAINT-JEAN, T.-N.-L. — Deux hommes incarcérés dans la plus grande prison de Terre-Neuve-et-Labrador affirment que les détenus luttent contre le désespoir et la détérioration de leur santé mentale alors qu'ils passeraient des journées entières enfermés dans leurs cellules, sans visites familiales, sans conseils et sans sorties à l'extérieur.

Les hommes détenus dans l'établissement connu sous le nom de «Her Majesty's Penitentiary» ont le sentiment qu'ils ne peuvent pas montrer de vulnérabilité ou d'émotion, selon Kevin Reid. 

Au fur et à mesure que leur détresse grandit, ils n'ont personne à qui parler de leur état mental, évoque-t-il. 

«Pour être honnête, il y a des gars ici dont la maladie mentale se détériore de jour en jour, révèle M. Reid en entrevue téléphonique depuis l'intérieur de la prison de St. John's. Les gars ici se sentent perdus, sans espoir. Je veux dire par là que nous n'avons pas de contact avec notre famille, nous ne pouvons pas voir nos amis.»

Ceux qui se confient et disent qu'ils sont suicidaires sont placés dans des cellules d'isolement, mentionne-t-il. 

Le pénitencier a été ouvert pour la première fois en 1859, et ses murs en ruine et son infrastructure obsolète sont bien connus. Ses murs grillagés surplombent le lac Quidi Vidi, dans un quartier résidentiel proche du centre-ville de St. John's.

Les autorités ont confirmé la semaine dernière qu'un détenu est mort à l'intérieur de la prison mardi soir, marquant au moins sept décès en détention dans la province à examiner ou à enquêter depuis 2017.

La province a le taux de suicide de détenus le plus élevé du Canada atlantique en fonction de sa capacité carcérale, selon les chiffres des quatre gouvernements provinciaux. Cinq détenus dans des établissements provinciaux sont morts par suicide entre 2010 et 2020 à Terre-Neuve-et-Labrador, où il y a 281 lits répartis dans les prisons de la province. 

À titre de comparaison, cinq personnes sont décédées par suicide dans les prisons de la Nouvelle-Écosse au cours de la même décennie. La capacité d'accueil de la Nouvelle-Écosse est d'environ 700 détenus.

Le Nouveau-Brunswick a signalé le décès d'un détenu par suicide au cours de cette période. L'Île-du-Prince-Édouard n'en a signalé aucun. 

Le ministère de la Justice de Terre-Neuve-et-Labrador n'a fourni aucun détail sur l'identité du détenu décédé la semaine dernière ni sur la manière dont il est mort. Le ministère n'a pas répondu à une demande de commentaire.

M. Reid mentionne que les détenus n'ont reçu aucune aide pour faire face à ce décès, ajoutant qu'ils ont rarement accès à des conseillers ou à des psychologues. Les programmes de réhabilitation — séances de pleine conscience, groupes de rétablissement de la toxicomanie, Alcooliques anonymes — sont régulièrement annulés «tous les jours», avance-t-il. 

La prison est confrontée à une pénurie persistante de personnel, et les détenus se font dire qu'il n'y a pas assez de gardiens pour les laisser sortir de leurs rangs de cellules afin de participer à des rencontres, affirme-t-il. 

Les loisirs, y compris le temps passé dans le gymnase, ont également été réduits de manière drastique en raison du manque de personnel, éliminant ainsi un exutoire crucial pour les détenus afin d'évacuer les tensions croissantes, ajoute-t-il. 

Un autre détenu Jonathan Payne a déclaré qu'il n'était sorti que quelques fois cet été, également en raison du manque de personnel. Les visites avec sa famille — même celles prévues en vidéo — ont également été régulièrement annulées parce qu'il n'y a pas assez de gardiens. 

Il était désemparé lorsqu'il a raconté avoir senti des rongeurs ramper sur son corps alors qu'il essayait de se soulager de la chaleur étouffante à l'intérieur de l'établissement vieux de 164 ans en dormant sur le sol en béton.

«Cet endroit est infesté, expose-t-il. Nous respirons de l'urine de rat et de souris. Des excréments de souris tombent des bouches d'aération lorsque de l'air y pénètre, a ajouté M. Reid. Selon M. Payne, il y a peu d'espoir de guérison ou de réinsertion dans la prison, et les détenus en sortent dans un état bien pire qu'à leur arrivée.

«Nous sommes comme des vaches qui vont à l'abattoir, affirme-t-il. Nous avons des droits qui ne sont pas respectés. Et nous ne sommes pas aussi mauvais qu'on le dit. Beaucoup d'entre nous veulent de l'aide et ne peuvent pas l'obtenir.» 

Sheila Wildeman, professeure de droit à l'Université de Dalhousie et membre du groupe East Coast Prison Justice de la Nouvelle-Écosse, a condamné les conditions à l'intérieur du Her Majesty's Penitentiary. 

Dans tout le pays, le manque de personnel entraîne des confinements aux cellules inacceptables et d'autres conditions difficiles pour les détenus dans les établissements provinciaux, a-t-elle déclaré dans un courriel transmis en début de semaine.

Le groupe demande aux gouvernements provinciaux plus de transparence sur les décès et les conditions de détention.

«La chose la plus évidente et la plus constructive que nous puissions faire pour prévenir d'autres décès et d'autres préjudices graves à la santé et aux droits des personnes les plus vulnérables est d'investir dans les programmes sociaux et de le faire de manière à prioriser les personnes opprimées et vulnérables», a écrit Mme Wildeman.

Le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador a promis de construire une nouvelle prison pour remplacer le pénitencier en ruine. Un contrat a été attribué l'année dernière pour commencer à préparer le terrain en vue de la construction du nouveau bâtiment.

La province a également mis de côté de l'argent pour couvrir une partie des frais de scolarité de 13 personnes qui obtiendront une certification en tant qu'agents correctionnels à l'Académie de police de l'Atlantique, à l'Île-du-Prince-Édouard, à partir de 2024.

Sarah Smellie, La Presse Canadienne