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Une députée réclame une «alerte Amber» pour la disparition de femmes autochtones

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4 avril 2024
La Presse Canadienne, 2024
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Par La Presse Canadienne, 2024

OTTAWA — Une députée fédérale du Manitoba souhaite la mise en œuvre d'un système d'alerte de type «Amber» pour avertir rapidement la population lorsque des femmes autochtones disparaissent – une initiative qui, espère-t-elle,  facilitera les recherches et réduira les décès. 

La députée néo-démocrate Leah Gazan, qui représente la circonscription de Winnipeg-Centre, estime qu'il s'agit d'une initiative cruciale, qui sauvera des vies. Elle a défendu le mois dernier son idée devant un comité des Communes qui amorçait l'étude de sa proposition pour une «Alerte robe rouge» au Canada.

Les députés aux Communes ont déjà soutenu à l'unanimité, l'an dernier, sa motion déclarant les décès et les disparitions de femmes et de filles autochtones comme une urgence à l'échelle du Canada. La motion demandait également le financement d'un nouveau système d'alerte similaire à ceux qui existent pour les enfants et les aînés disparus.

Les députés au sein du Comité permanent de la condition féminine des Communes discutent maintenant avec des experts et des intervenants de la manière de mettre en œuvre un tel système à l'échelle du pays.

Un rapport de 2019 de l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées révélait que des violations délibérées des droits étaient au cœur de la violence contre les femmes, les filles et les Autochtones de divers genres.

Le rapport final a donné lieu à 231 «appels à la justice» adressés aux gouvernements, aux prestataires de services sociaux, à l'industrie et aux Canadiens. Mais relativement peu de progrès ont été réalisés jusqu'à présent, en particulier du côté fédéral.

Entre 2009 et 2021, le taux d'homicides chez les femmes et les filles autochtones était six fois plus élevé que chez leurs homologues allochtones, a conclu Statistique Canada dans un rapport publié l'année dernière. Ce rapport révèle également que les homicides impliquant des femmes et des filles autochtones sont moins susceptibles de donner lieu aux accusations de meurtre les plus graves.

Sheila North, ancienne grande cheffe du «Manitoba Keewatinowi Okimakanak» et ex-journaliste, a déclaré qu'elle avait souvent été témoin d'inaction de la police lorsqu'elle faisait des reportages sur des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées.

«Il y a toujours eu un rejet, voire un manque de respect et d'indifférence, envers les familles et les amis» lorsqu'on signalait une disparition, a déclaré Mme North en entrevue. «Souvent, le policier disait: 'Attendons un petit peu, elle est probablement saoule, probablement en train de faire la fête'.

«Ou 'Elles ont bien le droit de partir, elles peuvent partir en vacances' — en sachant très bien que plusieurs de ces familles n'ont même pas les moyens de partir en vacances.»

Une direction autochtone 

La proposition d'«alerte robe rouge» de la députée Gaza est actuellement étudiée par le Comité de la condition féminine, qui a déjà entendu le témoignage d'un certain nombre d'experts appelant à ce que le programme soit dirigé par des Autochtones.

Un tel modèle, disent-ils, atténuerait le problème de l’inaction de la police, ainsi que des formalités administratives, afin de mieux garantir que la population soit informée d’une disparition rapidement et efficacement.

Jennifer Jesty, qui est responsable de la résilience pour l'Union des Mi'kmaq de la Nouvelle-Écosse, a parlé aux députés de ses propres efforts pour mettre en place un système d'alerte d'urgence dans ses communautés et de ses tentatives pour minimiser l'interférence de la police.

Mme Jesty a déclaré au comité que depuis septembre 2020, elle avait envoyé 183 alertes et ainsi permis de réunir 67 personnes avec leur famille – dont 96 % ont été réunies dans l'heure suivant le déclenchement de l'alerte.

Les membres de la communauté ont ensuite partagé l’alerte en ligne via leurs propres réseaux sociaux, élargissant encore davantage sa portée et contribuant à empêcher de nouveaux efforts de recrutement dans les secteurs voisins, a-t-elle témoigné.

«Comme ce système a été conçu par nous, pour nous, on a pu créer nos propres protocoles indiquant quand, comment et pourquoi une alerte doit ou ne doit pas être envoyée, a expliqué Mme Jesty. Aucune demande d'alerte n'a été refusée, et chaque alerte a été envoyée quelques minutes après avoir reçu l'information.»

Le système d'alerte de Mme Jesty, fourni par le logiciel Everbridge, permet d'envoyer des messages par textos, appels et courriels.  Le système peut même alerter les gens via le téléphone fixe, un mode particulièrement important pour les citoyens plus âgés ou ceux dont le service cellulaire n'est pas fiable dans les communautés éloignées.

Même si Mme Jesty a déclaré que son système d'alerte réduisait les formalités administratives, elle s'assure toujours que les proches contactent la police pour s'assurer qu'un dossier soit ouvert.

Obtenir l'adhésion de la police a pris du temps, a-t-elle admis, «et ce que j'ai entendu n'était pas toujours des plus agréables». Mais une fois que la police a compris l’intérêt d’utiliser les alertes pour l’aider dans ses propres enquêtes, elle a commencé à appeler Mme Jesty.

«Dans mon monde idéal, j'adorerais étendre ce système d'alerte à chaque communauté autochtone de tout le pays, a déclaré Mme Jesty aux députés, qui se demandaient comment un système d'alerte similaire pourrait être mis en œuvre à l'échelle canadienne.

«Est-ce que cela sauverait des vies ? Je crois que c'est déjà fait.»

D'autres territoires en Amérique du Nord disposent déjà de systèmes d'alerte similaires, notamment le système «Personne autochtone disparue» de l'État de Washington, qui coexiste avec les alertes «Amber» pour les enfants et «Silver» pour les aînés.

Alors que les experts affirment que les alertes sont nécessaires pour assurer la sécurité des femmes et des filles autochtones, Sheila North rêve d’un moment où elles ne seront plus nécessaires.

Mais des changements substantiels doivent d’abord se produire, a-t-elle déclaré, notamment l’élimination des obstacles auxquels sont confrontées les femmes et les filles autochtones en matière d’emploi, de services sociaux et d’application de la loi. Les femmes, les filles, les personnes transgenres et bispirituelles autochtones pourraient alors mieux se protéger et protéger leurs moyens de subsistance.

«Pour que les prédateurs aient moins de pouvoir sur nous», a-t-elle déclaré.

En attendant, cependant, Mme North estime que les «alertes robe rouge» seraient en mesure d'éduquer la population sur l'ampleur du problème, en montrant les visages derrière les statistiques d'une manière difficile à éviter.

«J'espère que ça nous rappelle que ce problème existe toujours, dit-elle. C'est un rappel brutal de la réalité de ce qui arrive aux premiers peuples du Canada.»

Alessia Passafiume, La Presse Canadienne