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Une feuille de route pour décarboner la santé au Canada

durée 06h00
3 avril 2024
La Presse Canadienne, 2024
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5 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

MONTRÉAL — Le réseau de la santé représente près de 5 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) au pays. Cette statistique fait dire à l’Association médicale canadienne que «le système de santé canadien n’est pas qu’une victime des changements climatiques, qui entraînent une augmentation des hospitalisations et diverses menaces environnementales», mais qu'«il est également l’un des principaux artisans du problème».

Afin de résoudre ce paradoxe, l’Association pour la santé publique du Québec a mandaté Dunsky Énergie + Climat pour qu'elle produise une feuille de route qui permettrait d'atteindre la cible fixée par le gouvernement fédéral, soit la carboneutralité du réseau d'ici 2050.

Miser en premier sur l’efficacité énergétique

Selon le rapport publié par la firme Dunsky mercredi, la majorité des émissions directes (émissions de portée 1) du secteur de la santé au Canada provient des énergies fossiles utilisées dans les bâtiments. 

Si les bâtiments de la santé, comme les hôpitaux, consomment beaucoup d’énergie, c’est notamment en raison des normes sanitaires.

«On doit changer l'air plus régulièrement, alors quand on évacue l’air chaud pour renouveler l'air, ça fait augmenter la consommation d'énergie», a expliqué la consultante Audrey Yank, qui a participé à la rédaction du rapport.

Les émissions provenant de la combustion de gaz pour chauffer et ventiler les hôpitaux et les autres bâtiments du réseau représentent ainsi 86 % des émissions directes du secteur de la santé, alors que les gaz médicaux seraient responsables d’environ 11 % des émissions. Les véhicules comme les ambulances représenteraient près de 3 % des émissions directes.

C’est donc sans surprise que la feuille de route vers la décarbonation proposée par la firme Dunsky passe en premier lieu par des mesures d’efficacité énergétique.

Le plan suggère de réduire la consommation d’énergie dans les bâtiments de 40 % en mettant en place différentes mesures d’économies d’énergie, comme «l’éclairage DEL et ses contrôles, la récupération de chaleur» et «des appareils de chauffage plus efficaces».

Ces mesures pourraient ainsi réduire «les pressions inutiles sur les réseaux électriques et l’approvisionnement en ressources énergétiques renouvelables additionnelles requises pour la décarbonation».

Le rapport souligne que la récupération de chaleur est une mesure clé.

«On propose une décarbonation efficiente, donc il faut d'abord réduire la consommation d'énergie pour réduire les coûts de cette décarbonation, plutôt que de juste convertir vers les énergies renouvelables», a précisé la consultante Audrey Yank.

Décarbonation 

Après l’application des mesures d’efficacité énergétique, le plan propose de substituer les énergies fossiles par des énergies renouvelables et d'avoir recours à des équipements «à haute efficacité» comme la géothermie ou l’aérothermie.

«On peut penser à des thermopompes à air, à du chauffage à la biomasse, aux chauffe-eau électriques, donc différentes sortes de technologies qui vont permettre de remplacer les combustibles fossiles dans les bâtiments», a expliqué Audrey Yank.

Le rapport indique également qu’il faudra électrifier, de façon progressive et complète, les ambulances et les véhicules routiers de la santé d’ici 2050.

Également, les émissions liées aux gaz médicaux «peuvent être éliminées grâce à la substitution des gaz à haut impact carbone, notamment les gaz anesthésiants comme le desflurane et les gaz inhalateurs, ainsi que l’adoption de pratiques médicales à plus faible empreinte carbone comme les méthodes d’anesthésie intraveineuse».

Un chemin plus difficile dans certaines provinces

Le chemin vers la décarbonation est évidemment plus simple pour une province comme le Québec, productrice d’hydroélectricité, que pour l’Alberta ou la Saskatchewan, dont la majorité des sources d’énergie sont fossiles.

«On peut effectivement s'attendre à ce que le niveau des efforts de décarbonation ne soit pas équivalent dans toutes les provinces», mais «nous, on a fait une analyse de haut niveau à l'échelle canadienne avec les données pour l'ensemble du secteur de la santé», a expliqué la consultante Audrey Yank.

Dunsky n’a pas publié une feuille de route pour chaque province, mais plutôt pour l’ensemble du pays, en se basant entre autres sur des données de Ressources naturelles Canada, d’Environnement et Changements climatiques Canada et de la Régie de l’énergie du Canada.

La feuille de route «n’a pas pour objectif d’imposer une vision unique pour la décarbonation du secteur, mais plutôt d’offrir une base de référence robuste sur laquelle s’appuyer pour proposer des initiatives et des actions structurantes dès maintenant».

Des dizaines de milliards

Dans l’ensemble, le coût de la décarbonation du système de santé est estimé à 8 milliards $ d’ici cinq ans, pour un total de 34 à 45 milliards $ jusqu’en 2050.

«La trajectoire de décarbonation permet d’atteindre zéro émission en 2050 et s’accompagne d’économies de 24 milliards $ d’ici 2050» pour la portion des bâtiments.

Toujours selon les estimations de la firme Dunsky, 1,8 milliard $ d’économies par année pourraient être réalisées à partir de 2050 en décarbonant les bâtiments.

La mise en œuvre du plan permettrait «une consommation d’énergie et des coûts d’énergie grandement réduits pour les bâtiments», des «coûts d’énergie et d’entretien réduits pour les véhicules», ainsi que des «bénéfices pour la santé grâce à un secteur zéro émission».

Les bénéfices sociaux

Décarboner le réseau de la santé contribuerait à diminuer les émissions de GES, néfastes pour le climat, mais aussi à améliorer la santé des gens, notamment en diminuant la pollution atmosphérique.

Santé Canada estimait en 2016 que le coût économique total de tous les impacts sanitaires de la pollution atmosphérique s'élevait à 120 milliards $ par année au pays.

L’Association médicale canadienne, qui a participé à la rédaction du rapport de la firme Dunsky, réclame la mise en place d’un secrétariat national pour coordonner les efforts de décarbonation du réseau de la santé au pays.

Le Canada s’est d’ailleurs engagé lors d’une rencontre du G7 en Allemagne, en mai 2022, à viser la carboneutralité du secteur de la santé avant 2050.

«Les bénéfices d’un système de santé sobre en carbone dépasseront les bénéfices climatiques, qu’il s’agisse de l’amélioration de la qualité de l’air, de la prévisibilité des coûts énergétiques, de la réduction de coûts d’opération ou de l’optimisation des soins de santé. Cette trajectoire de décarbonation est l’occasion de répondre simultanément aux objectifs climatiques tout en générant des bénéfices plus globalement pour la santé», peut-on lire dans le rapport.

Le rapport publié mercredi propose un plan pour éliminer les émissions directes de GES du secteur de la santé, tout en offrant une évaluation sommaire des émissions indirectes.

Les émissions indirectes correspondent par exemple à la production de nourriture, à l’élimination des déchets ou encore au déplacement des travailleurs du secteur.

Selon l’Association médicale canadienne, les secteurs de la santé combinés des États-Unis, de l’Australie, de l’Angleterre et du Canada émettent environ 750 millions de tonnes de gaz à effet de serre chaque année, soit plus que tous les pays à l’exception des six les plus polluants du monde.

Stéphane Blais, La Presse Canadienne