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Washington sème l'inquiétude en devenant actionnaire de minières canadiennes

durée 15h23
10 octobre 2025
La Presse Canadienne, 2025
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Par La Presse Canadienne, 2025

Le gouvernement américain prend de plus en plus de participations dans des sociétés cotées en bourse, notamment Intel et les sociétés minières canadiennes Trilogy Metals et Lithium Americas, ce qui suscite des inquiétudes quant à l'émergence de conflits d'intérêts.

Richard Leblanc, professeur de gouvernance, de droit et d'éthique à l'Université York, a souligné le caractère inusité de voir un gouvernement étranger prendre une participation dans une entreprise canadienne.

«Il est inhabituel qu'un gouvernement détienne une participation dans une entreprise nationale, mais il l'est encore plus pour un gouvernement étranger», a-t-il affirmé.

Trilogy Metals, une société d'exploration métallurgique établie à Vancouver, a annoncé lundi que le gouvernement américain allait acquérir une participation de 10 % pour 35,6 millions $ US, avec une option pour une augmentation ultérieure. Le gouvernement aurait également le droit de nommer un membre au conseil d'administration de l'entreprise. Trilogy possède des intérêts miniers en Alaska que Washington souhaite voir développer.

Le même jour, le président américain Donald Trump a signé un décret ordonnant la construction d'une route en Alaska, permettant ainsi l'accès au district minier d'Ambler, une zone riche en cuivre où Trilogy détient une participation par l'entremise d'une coentreprise.

M. Leblanc a soulevé la préoccupation de voir une entreprise compter un actionnaire important qui dispose également du pouvoir de prendre des décisions cruciales susceptibles de modifier le paysage des investissements par le biais de réglementations ou d'autres décisions politiques.

«Avoir un investisseur extérieur pouvant obtenir l'approbation réglementaire, est-ce un conflit d'intérêts? C'est absolument un conflit d'intérêts», a-t-il déclaré.

«Les autres actionnaires n'ont pas le pouvoir d'obtenir les approbations réglementaires, ce qui crée un superactionnaire», a-t-il ajouté.

L'annonce de Trilogy fait suite à l'ajout d'une autre entreprise canadienne au portefeuille de Washington.

La semaine dernière, le gouvernement américain a annoncé une prise de participation minoritaire dans Lithium Americas, une autre entreprise dont le siège social est canadien et qui exploite l'une des plus grandes mines de lithium au monde au Nevada.

Alors que la décision de l'administration américaine d'agir à la fois comme investisseur et comme régulateur est critiquée, certains observateurs ont noté qu'elle semble s'inscrire dans une tendance. La concurrence géopolitique croissante pour les minéraux, essentiels à des priorités comme une économie carboneutre, le matériel d'intelligence artificielle et la défense, incite les gouvernements à surveiller de plus près le secteur minier.

Sara Ghebremusse, professeure agrégée à la faculté de droit Allard de l'Université de la Colombie-Britannique, a déclaré qu'elle est «absolument» certaine que des préoccupations en matière de conflits d'intérêts doivent être soulevées concernant les récentes participations du gouvernement américain dans des sociétés minières canadiennes.

«Mais je ne pense pas que ce soit une préoccupation pour l'administration Trump à l'heure actuelle. Les apparences de conflit d'intérêts, et même les incidents réels, ne préoccupent pas l'administration américaine actuellement», a-t-elle noté.

M. Leblanc a déclaré qu'il est important d'établir une séparation afin de se prémunir contre les cas où les intérêts d'une entreprise pourraient diverger de ceux du gouvernement américain en tant qu'actionnaire ou régulateur.

«Cela ouvre la voie à un traitement inégal des actionnaires canadiens par rapport à un actionnaire américain qui est également un organisme de réglementation», a-t-il affirmé.

Dans le cas de Trilogy Metals, M. Leblanc a souligné que la participation des États-Unis en ferait l'un de ses plus importants investisseurs, ce qui pourrait avoir des répercussions sur son conseil d'administration.

«Un actionnaire important comme le gouvernement américain pourrait influencer le conseil d'administration, directement ou indirectement. Et directement, il pourrait nommer un membre du conseil», a indiqué M. Leblanc, ajoutant qu'«à toutes fins utiles, le gouvernement américain pourrait être considéré comme un actionnaire activiste».

Un test pour ce qui est acceptable

Malgré le risque d'influence, Mme Ghebremusse a déclaré qu'elle ne s'attend pas à ce que des transactions de ce type suscitent une préoccupation majeure pour le gouvernement canadien.

«Une participation de 10 % du gouvernement américain dans une société minière canadienne ne dépasse pas les limites de ce qui constituerait une propriété étrangère acceptable au Canada», a-t-elle indiqué. Tout de même, M. Leblanc a déclaré que le gouvernement canadien devrait examiner la transaction Trilogy Metals «avec la plus grande attention», compte tenu de l'importance renouvelée des minéraux critiques pour la sécurité économique.

«Cela pourrait servir de test pour déterminer ce que le gouvernement canadien est prêt à accepter. Si nous estimons que c'est acceptable, je n'exclurais pas les investissements du gouvernement américain dans d'autres entreprises canadiennes critiques», a-t-il affirmé.

«Cela aurait également des répercussions sur la souveraineté du Canada, sur sa défense et sur notre capacité à gérer nos propres entreprises canadiennes.»

Si l'intervention directe de l'État dans les entreprises du secteur des ressources a toujours été rare au Canada et aux États-Unis, Mme Ghebremusse a cité des exemples d'entreprises publiques en Chine. Elle a également cité des cas d'États prenant des participations dans des projets miniers étrangers en Afrique et en Amérique latine.

Elle a déclaré que le nouvel engouement pour les minéraux critiques s'apparente à une ruée vers l'or.

«On constate actuellement que de nombreux pays occidentaux cherchent au moins à rattraper leur retard et à concurrencer la Chine pour l'accès aux minéraux critiques», a-t-elle déclaré.

Entreprises dans cette dépêche: (TSX : TMQ, TSX : LAC)

Daniel Johnson, La Presse Canadienne