Censure médiatique chez Meta
Blocage de nouvelles par Meta: des sénateurs signalent ne pas se sentir intimidés
Par La Presse Canadienne
Des sénateurs qui étudient le projet de loi C-18 et font partie de deux caucus formant, ensemble, une majorité au Sénat disent être loin de se sentir intimidés par le fait que Meta bloque l'accès à du contenu produit par des médias d'information sur Facebook et Instagram pour certains Canadiens.
«Je pense que c'est naïf, pas très respectueux et sans précédent», tranche en entrevue le sénateur Peter Harder, qui siège au comité des communications de la Chambre haute.
Pour ce membre du Groupe progressiste des sénateurs (GPS) nommé au Sénat en 2016, la situation est une première. «Je n'ai jamais vu une compagnie du secteur privé agir de façon aussi belliqueuse face à un processus législatif parlementaire», résume-t-il.
Le C-18, qui vise à forcer les «géants du web» à indemniser les médias pour le partage vers leurs contenus d’actualités, pourrait terminer son parcours législatif et devenir une loi avant la relâche des travaux parlementaires au Sénat, à la fin juin.
Le fait que Meta, la société mère de Facebook et Instagram, ait choisi ce moment de dernier droit pour passer de la parole aux actes ne laisse aucun doute chez des sénateurs: c'est une manœuvre visant à influencer leur travail. L'initiative est présentée comme des «tests» par Meta, lesquels doivent permettre d’identifier tout problème avant de fermer le robinet complètement aux contenus des médias sur les plateformes de l'entreprise.
«C’est complètement inacceptable que cette tactique-là soit utilisée pour faire de la pression sur les travaux que nous sommes en train de faire concernant le projet de loi C-18», dit le sénateur René Cormier, membre du Groupe des sénateurs indépendants (GSI) qui siège au comité des communications.
Les sénateurs affiliés au GSI et au GPS forment, ensemble, la majorité des membres de ce comité ayant entre les mains la pièce législative. Qui plus est, ils sont majoritaires parmi l'ensemble des sénateurs, le GSI étant le groupe le plus nombreux.
La sénatrice du GSI Donna Dasko, qui mentionne avoir travaillé dans le milieu des sondages et des études de marché, affirme qu'il est monnaie courante que des tests soient effectués par des entreprises, mais que les circonstances dans lesquelles Meta les mène rendent l'exercice «beaucoup plus provocateur».
Elle souligne que Meta exprimait depuis des mois sa menace en affirmant qu'il ne reculerait que si des amendements qui lui conviennent sont apportés à C-18. L'épisode rappelle aussi les «tests» menés par Google en mars, note-t-elle.
«Cela dure depuis des mois. J'y suis pas mal habituée à présent et je ne me sens pas menacée», soutient la sénatrice.
Même son de cloche chez sa collègue québécoise Julie Miville-Dechêne, qui n'a «pas été surprise».
«L’étude se poursuit et on va essayer d’étudier le plus rationnellement possible un projet de loi qui est assez complexe – beaucoup plus (…) que ce qui s’est passé en Australie», dit-elle en relevant que le gouvernement de Justin Trudeau a voulu corriger des éléments de la version australienne, la première loi du genre.
Pour Mme Miville-Dechêne et M. Cormier, il est clair qu'un retrait définitif des contenus journalistiques des plateformes de Meta portera surtout un coup dur aux petits médias.
«Je pense particulièrement aux médias qui sont situés dans les régions, notamment celles des communautés de langue officielle en situation minoritaire, précise le sénateur Cormier. Donc c'est un geste, je trouve, qui est irrespectueux pour la population canadienne, pour les régions et pour ceux et celles qui contribuent à notre démocratie.»
Le sénateur Harder souligne que la prise d'action de Meta survient dans un contexte où d'autres juridictions, comme les États-Unis, songent à se doter d'une loi obligeant les «géants du web» à négocier des ententes équitables avec les médias. Déjà, l'entreprise de la Silicon Valley a formulé jeudi la même menace face à un projet de loi de l'État de la Californie.
«C'est une grande bataille entre la démocratie du Parlement d’un côté et les corporations multinationales de l'autre», croit le sénateur Andrew Cardozo, membre du GPS.
Le sénateur conservateur Leo Housakos, qui préside le comité sénatorial des communications, n'était pas disponible pour accorder une entrevue. Invité, donc, par La Presse Canadienne à indiquer dans une déclaration écrite s'il avait un message à adresser aux dirigeants de Meta, il a décliné l'offre et s'en est plutôt pris au gouvernement Trudeau.
«Nous voulons tous que les médias libres et indépendants prospèrent au pays. C’est un élément essentiel de notre démocratie. Ce projet de loi, cependant, ne fait rien pour l’assurer. Au contraire», a exprimé le sénateur.
À son avis, le C-18 est «un coup de filet dans les grandes entreprises technologiques, qu’il est très facile de diaboliser».
Son chef, Pierre Poilievre, juge inappropriée l'approche de Meta. «Je suis contre les menaces. Je suis contre la censure», a-t-il dit vendredi, en point de presse au Manitoba, tout en critiquant «l'incompétence de Justin Trudeau». Les conservateurs s'opposent depuis le début au projet de loi.
En entrevue, le député bloquiste Martin Champoux, qui a participé à l'étude article par article du C-18 pendant que Google menait ses propres «tests», assure avoir confiance que les sénateurs ne se laisseront pas influencer par «l'intimidation grossière» de Meta.
«C'est (primordial) de ne pas réagir à ces menaces-là parce que c'est important que ces grandes compagnies technologiques soient obligées à contribuer à notre société», renchérit l'élu néo-démocrate Peter Julian.
Et M. Champoux prévient que si les sénateurs abdiquaient, ses collègues et lui, à la Chambre des communes, ont l'intention de «se ressaisir et rejeter ces propositions d'amendement-là».
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