Des joueurs se vident le coeur

Par Christopher Nardi
Installé devant le même appareil de loterie vidéo (ALV) depuis près d’une demi-heure, Jean* insère un sixième billet de 20 $ en autant de temps. «Je n’en reviens pas, je viens de remettre 100 $ dans cette machine comme si rien n’était, marmonne-t-il à notre journaliste, sa voix timbrée de regret. Comme d’habitude, ça n’a rien donné.»
Au cours des dernières semaines, L’Écho de Laval a visité différents bars de l’île Jésus afin d’aller à la rencontre des habitués d’appareils de loterie vidéo.
D’entrée de jeu, la plupart des personnes rencontrées ont avoué qu’elles «jouaient beaucoup», voire trop.
«Moi quand je viens jouer, c’est 200 $, voire 300 $ qui y passent, continue Sophie*. Je te le dis, si tu n’aimes pas jouer plus que ça, tu devrais arrêter tout de suite», a-t-elle recommandé au représentant de L’Écho, sur un ton résigné.
Ces personnes, autant hommes que femmes, semblaient unis par un dénominateur commun : lorsqu’ils jouent, ce sont des centaines de dollars qu’ils flambaient avant de pouvoir arrêter.
«Toujours une fois de plus, toujours… La frustration [de perdre] passe, et on continue à jouer», raconte Jean.
Pente glissante
Les joueurs vétérans sont tous d’accord pour dire que n’importe qui peut tomber dans le panneau du jeu problématique. L’appât du gain est vite remplacé par un désir d’atténuer les pertes encourues, une pente glissante qui se termine rarement bien.
«J’avais un ami qui jouait très peu, juste de temps en temps, dit Jean. À un moment donné, ça l’a déboulé, il a commencé à gagner un peu donc il a commencé à miser fort comme moi. C’était un gars qui était toujours à l’aise avec l’argent, mais à cause du jeu, il n’a plus rien.
Ma blonde me le dit souvent, "ne fais pas de conneries, ne fais pas de conneries", mais je ne l’ai pas écoutée. À un moment donné, tu commences à mentir à ta blonde, à ta famille et leur dire que tu ne joueras plus, mais tu continues à y aller et tu ne leur dis pas.»
Nouvelles machines accrocheuses
Selon les propos des joueurs, c’est une multitude de facteurs qui contribuent à l’attrait de ces appareils. Les plus importants, par contre, sont l’appât du gain et la multitude d’éléments accrocheurs de la troisième génération de machines de Loto-Québec (LQ).Ces machines ont été implantées depuis 2012 au travers la province.
L’organisme public a également décidé d’augmenter le gros lot des machines, qui est passé à 1000 $, soit 250 $ de plus qu’auparavant. Un changement des plus alléchants pour les joueurs, mais qui n’encourage pas la modération.
En plus, une musique plus forte et entrainante, des effets sonores qui créent une atmosphère dramatique et même des vibrations subtiles ressenties dans les pieds de l’usager, qui reposent sur la base de l’appareil, sont d’autres éléments qui font pomper l’adrénaline de l’usager.
«Quelque chose que j’ai remarqué, et plusieurs joueurs m’ont dit la même chose, c’est que dans des jeux comme Les 7 frimés, les nouvelles machines te donneront une ligne où tu as quatre du même symbole en ligne [sur 5], mais le cinquième va être dans le coin en haut ou en bas, explique Pierre*.
Avant, ils ne te teasaient pas avec le dernier symbole, mais là oui et ça rend le jeu encore plus excitant parce que tu te dis "merde, je l’avais presque" alors tu continues à jouer.»
Mais, en dépit de leur grand attrait et leur effet accrocheur, les joueurs aguerris se retrouvent de plus en plus frustrés avec ces nouveaux appareils.
«Là, je trouve que Loto-Québec abuse de nous, a déclaré Sophie. Quand j’ai commencé à jouer en 2003, je gagnais comme ce n’était pas croyable. Mais avec les nouvelles machines, on perd tout le temps, c’est ridicule. Ils ont peut-être augmenté le montant du gros lot à 1000 $, mais on gagne des gros montants presque jamais maintenant.»
*Les noms de joueurs ont été changés afin de préserver leur anonymat.
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